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elle sut la décision de ces messieurs, elle pensa mourir de douleur, et versa dans sa chambre toute la nuit un torrent de larmes.

La vive joie de Mme de Maintenon est très frappante dans ses lettres : « Vous voilà donc dans le fond de cet abîme où l’on commence à prendre pied. Vous savez de qui je tiens cette phrase. Je le verrai demain. Laissez-vous conduire les yeux bandés. Que vous êtes heureuse ! etc. » Dans ce bonheur, la Maisonfort fit pourtant quelques plaintes à ce peu fidèle défenseur qui l’avait si peu défendue. Rien de plus sec que sa réponse, et je dirai de plus cruel. « Quand Dieu ne donne rien au dedans pour attirer, il donne au dehors, une autorité qui décide, etc. » Pas un mot de compassion. Où est ce mouvement de Racine, qui, la voyant pleurer, au moins lui essuyait les yeux ? Fénelon avait sa leçon apprise, et l’intérêt de son parti l’obligeait de ménager sa fortune incertaine. Sa petite église visait pour lui de loin à un grand siège, à l’archevêché de Paris. Alors sans doute il eût repris Saint-Cyr, repris la Maisonfort, qui, travaillant sous lui, fût devenue près de sa protectrice le grand appui du quiétisme.

Malgré cette prudence excessive, il n’inquiétait pas moins Godet. Celui-ci, fort habile sous son sec et plat extérieur, attendait et laissait passer le goût éphémère que Mme de Maintenon avait (croyait avoir) pour le quiétisme. Il patientait, ne disait rien, et suivait tout de l’œil. Seulement, comme évêque de Chartres, il prit en août 1691 une position forte à Saint-Cyr. Il y mit ses lazaristes, Tiberge et Brisacier, directeurs officiels. Il fit mieux. Devinant qu’à ce rude contact les cœurs se fermeraient et qu’on ne saurait rien, il introduisit deux dames à Saint-Cyr, personnes sûres et intelligentes, qui jouèrent à merveille leur personnage. Elles surent écouter ; elles obtinrent confiance. Elles firent parler la Maisonfort, parurent charmées, touchées de ces nouvelles dévotions. Elle ne fit nulle difficulté de livrer à ces chères amies ses sentimens les plus secrets ; tout cela jour par jour, rapporté, dénoncé. Quand Godet eut de bonnes preuves ; écrites et qu’il pouvait montrer, il éclata. Il déclara à Mme de Maintenon qu’une hérésie, existait dans Saint-Cyr.

Saint-Simon dit qu’elle fut étonnée ; mais dès longtemps elle savait tout, et même participait à tout. Ce qui est vrai, c’est qu’elle fut effrayée. Qu’eût-ce été, si tout droit il eût porté cela au roi, si la sage personne que le roi croyait la prudence même eût été convaincue d’avoir suivi une folle, d’avoir eu à cet âge une échappée de cœur ? Elle ne sut nullement gré à la Maisonfort d’avoir été si expansive pour ses amies. Et pourquoi avait-elle des amies ? Cela la refroidit pour elle. Elle la gronde dans une lettre. Sans oser trop se mettre encore en flagrante contradiction avec elle-même, ni tourner brusquement contre Mme Guyon, elle dit que cette haute