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V.

L’année suivante, 1692, marquée par le succès trop chanté de Namur, l’ode ridicule de Boileau, par la bataille de Steinkerque, brillante et sans effet, n’en fut pas moins très sombre. La soumission du roi au pape, le grand désastre de La Hogue, la détresse publique, devaient changer Versailles, et ne pouvaient manquer d’influer sur Saint-Cyr. Les contre-coups des grands événemens viennent tous aboutir à la chambre de Mme de Maintenon. De cette chambre secrète et muette transpire pourtant l’effet moral de tout cela, les aigreurs, les tristesses ; on les entrevoit dans ses lettres, et on les voit en plein dans ses exécutions sur la maison d’épreuve où elle manifestait son âme. De 1690 à 1693, pendant ces trois années de guerres, de sièges et de batailles, sa guerre qu’elle poursuit, c’est la réduction de Saint-Cyr et de la Maisonfort à la vie religieuse.

D’accord avec Godet, elle y employait Fénelon. Elle allait jusqu’à dire ces paroles imprudentes, peu mesurées : « Voyez l’abbé de Fénelon. Accoutumez-vous à vivre avec lui. » Pour faire de celui-ci un instrument docile, elle lui présenta un leurre, l’espoir de la diriger elle-même (et par elle le roi et la France). Elle lui fit la prière flatteuse de lui dire ses défauts. S’il eût pris cela au sérieux, il empiétait sur Godet et se perdait. Godet eût éclaté, dénoncé ses doctrines. Il ne tomba pas dans le piège. Dans sa réponse prudente, admirable de diplomatie, il recule, il pose en principe qu’il ne faut qu’un seul directeur. Rien de plus sévère, rien de plus flatteur que cette lettre. Il lui accorde généreusement toutes les vertus mondaines (sauf de jolis petits défauts) ; puis il voudrait que ces vertus disparussent dans une plus pure, la haute spiritualité, l’amour de Dieu. Elle est née modeste et timide ; elle se défie trop d’elle-même. Là une stratégie merveilleuse de préceptes contradictoires : ne pas se mêler des affaires, cependant faire faire de bons choix, soutenir les honnêtes gens qui sont en place, faire donner du pouvoir à MM. de Beauvilliers et de Chevreuse. Il faut ouvrir le cœur du roi par une conduite ingénue enfantine. Ce sont les mots qu’on aurait adressés à une femme de vingt ans. Il n’est pas dupe d’elle, et pourtant il la sert. Il conduit peu à peu la Maisonfort où elle veut. Sous l’ascendant de ce doux conseiller, de douceur impérieuse, la pauvre personne, éperdue et désorientée, promet de faire ce que voudront les plus honnêtes gens, Fénelon et Godet (celui-ci assisté de deux lazaristes, MM. Tiberge et Brisacier), et elle abandonne son sort. Combien il lui en coûte ! « Elle m’a raconté, dit Phelippeaux, qu’elle s’était retirée devant le saint-sacrement dans une étrange angoisse. Quand