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étrange, comme Mlle de Marsilly, que le père de Caylus, M. de Villette, épousa ; elle fit son chemin de mari en mari, et devint lady Bolingbroke. Moins habile fut Mlle Osmane, une vive Provençale, qui se perdit dans le roman, mais qui finit par mourir sainte. Parmi les dames, il y eut des personnes accomplies : la plus dévouée, Glapian, aimable, toujours gaie, parfaite, et désolée de n’être pas meilleure ; elle avait pris le rôle dont on voulait le moins, celui du vieux Mardochée, et sa touchante voix émut tout le monde. Mlle La Loubère fut la raison autant que la beauté ; on la fit à vingt ans supérieure de Saint-Cyr. Mais la perle entre toutes incontestablement fut Élise, La Maisonfort, pour qui cette âme plus que mûre, peu aimante, s’ouvrit, la première fois peut-être, dans une âpre amitié. Elle eut le douloureux honneur d’occuper, de troubler pendant six années Mme de Maintenon et le roi, Fénelon et Bossuet : tragédie palpitante où Versailles s’intéressa plus qu’au spectacle de l’Europe. L’intérêt fut si vif qu’on n’en finit qu’en exterminant la victime. Tous, amis, ennemis, ils concoururent à la briser.

En 1686, au moment où Mme de Maintenon partait pour le voyage annuel de Fontainebleau, son confesseur, Gobelin, lui présenta une demoiselle ; on l’appelait dame, elle était chanoinesse. Elle amenait sa petite sœur et demandait qu’on la reçût à Saint-Cyr. L’enfant était jolie. Mme de Maintenon l’accepta ; mais en faisant causer la grande sœur, elle lui trouva tant de raison, de douceur et de grâce, qu’elle la pria de rester, la garda pour elle-même et l’emmena à Fontainebleau. La jeune dame était du Berry, ce pays central de la France, où certains ordres religieux prenaient leurs sujets de préférence, comme mieux équilibrés, plus complets, propres à tout. Ce fut cet équilibre justement, la belle harmonie, sereine, aimable et souriante qui charma dans celle-ci Mme de Maintenon. Elle était judicieuse, et son bon sens plus tard embarrassa fort les théologiens. Sous tout cela se cachait un cœur tendre, capable de vive amitié. Elle n’avait pas été gâtée. Dès l’âge de douze ans, son père, un pauvre gentilhomme, l’avait donnée aux dames de Poussay, qui lui assuraient une place de chanoinesse ; mais cette petite prébende ne pouvait la faire vivre. Revenue à Paris, trouvant son père remarié, elle était fort embarrassée et allait être obligée de se mettre en servitude, sous titre de demoiselle, dans la sombre maison des Condés. Se voir à ce moment, par un accueil si imprévu, adoptée, comme enlevée par la plus grande dame de France, portée par enchantement en pleine cour de Fontainebleau, trouver là l’insigne faveur de vivre au sanctuaire près de cette haute personne, cela semblait un conte des Mille et Une Nuits. La Maisonfort, surprise, mais encore plus touchée, se dévoua sans réserve.

Les amitiés de femmes étaient fortes en ce siècle. Les hommes en