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fond, une certaine intériorité, un calme d’innocence. Sa solitude était fort agitée, tout occupée d’affaires d’église, de cour, de son Saint-Cyr et surtout de sa petite police.

Mme Guyon l’amusa. C’était une fête de l’entendre. Elle était touchante et comique ; c’était sainte Thérèse, et c’était don Quichotte. Ses amies les duchesses, bonnes et caressantes personnes, étaient un monde de velours, où l’on sentait une infinie douceur. Elles serraient, flattaient Mme de Maintenon, se trompant, la trompant sur ce qu’elle sentait elle-même. Elle se crut attendrie, imagina que son aridité cesserait. Elle était, si on peut dire, en coquetterie pieuse avec Fénelon qui, devenu précepteur (août 1689), de plus en plus entra dans ces doctrines. Elle trouvait piquant d’aller le dimanche incognito chez les duchesses à de petits dîners mystérieux où il présidait. Point d’écouteurs. On se servait soi-même pour n’avoir pas de domestiques.

Dans tout cela, les idées étaient peu, les personnes étaient tout, et c’étaient elles qui donnaient attrait aux idées. Mme de Maintenon, pour s’y engager fortement, avait besoin d’y être intéressée par ce qui seul l’intéressait, un gouvernement d’âme, par une amitié (non d’égales, de grandes dames, comme étaient les duchesses), mais une amitié protectrice pour une jeune âme dépendante qui marcherait sous elle et avec elle dans ces sentiers de la haute dévotion, car elle était née directeur (bien plus encore qu’éducatrice). Il lui fallait quelqu’un à diriger, aimer et tourmenter.

Sous son extérieur calculé de tenue, de convenance, son âme était très âpre, comme on l’est volontiers lorsque l’on a beaucoup pâti. Elle avait eu des amans sans aimer. Elle avait été recherchée très vivement de certaines dames qui raffolaient de la créole, la belle Indienne, comme on l’appelait ; mais ces dames étaient trop au-dessus d’ailleurs des ennuyeuses, elle ne fit que les supporter. Cette froideur l’avait conservée. Dans cet âge déjà avancé, dans ce terrible ennui, elle avait une certaine flamme. La Palatine, à qui rien n’échappe, note ce trait, la lueur singulière qui, sous ses coiffes noires, brillait aux yeux de la sinistre fée et faisait quelque peur dans la personne toute-puissante.

Elle eût pu s’attacher à ses élèves ; mais pas une ne tourna bien, ni Mme la duchesse, ni sa nièce Caylus, ni (disons-le d’avance) la duchesse de Bourgogne, qu’elle eut petite, qu’elle soigna, et qui pourtant lui échappa comme les autres. Aurait-elle plus de succès chez les dames et demoiselles de Saint-Cyr, pauvres et dépendantes, plusieurs même orphelines, nouvelles catholiques qui n’avaient plus aucune racine sur la terre, et d’autant plus auraient pu se donner ?

Plusieurs ont laissé souvenir. Quelques-unes mondaines et de destin