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LOUVOIS
ET
SAINT-CYR
1689-1692

I

Si le XVIIe siècle, riche en choses usées et brillantes, n’a pas la fécondité d’avenir du XVIe et du XVIIIe, en revanche il a cela d’attachant, que tout l’extérieur, politique, guerre, y tient à l’intime intérieur, au mystérieux secret de la vie morale et cachée. La chute de Louvois par exemple, ce moment fort critique du règne de Louis XIV, ne sera pas comprise si l’on ne tient compte des circonstances religieuses qui influèrent sur ce fait politique, si l’on ne sait la part qu’y eut Mme de Maintenon, celle qu’eut, à son insu, dans cette tragédie l’innocente maison de Saint-Cyr.

La révolution d’Angleterre n’avait fait nulle peine en France. La cour pensait, à la ruine de Jacques, gagner la ruine de Louvois[1].

  1. Cette histoire, qu’on croit si connue, est fort peu éclairée par les contemporains. Mme de La Fayette, Dangeau, Caylus, la Palatine, Berwick, etc., en donnent des traits épars. Un grand peintre qui n’est pas toujours un grand historien, Saint-Simon, donne à chaque instant des portraits admirables, parfois des lueurs vives sur les événemens, mais plus vives peut-être qu’exactes. Il ne comprend rien à la chute de Louvois, rien à la cour de Saint-Germain ni à Saint-Cyr, double foyer de la conspiration contre Louvois. Il ignore qu’Esther et Athalie sont deux machines de guerre qui agissent en cadence avec les tentatives contre Guillaume. Pas un auteur français ne mentionne celles de Grandval, de Barclay, etc. Pour reconstruire ce fil complexe, il faut patiemment prendre de tous côtés les menus fils, qui la plupart ne se connaissent pas les uns les autres, mais n’en concourent pas moins au mouvement total. Les uns ignorent, les autres n’osent dire. C’est le siècle des réticences. Même dans les lettres intimes qui enfin ont été publiées, on trouve un étonnant excès de prudence. Pour lire celles de Fénelon, de Mme de Maintenon, il faut l’attention la plus forte, la plus fine interprétation. Chaque mot doit être pesé d’après la date de la lettre et tous les faits qui se passaient alors.