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celle de n’engager d’action qu’à la dernière extrémité, et de se retirer dans la montagne dès qu’il se sentirait menacé par des forces trop imposantes.


II

Notre quartier-général de Caserte était le plus beau qu’il fût possible de trouver. Le palais, dont les appartemens royaux ne furent même pas occupés, nous offrait des logemens spacieux et commodes où nous n’étions plus pressés les uns contre les autres et couchés souvent sept ou huit dans la même chambre, comme pendant nos étapes à travers les Calabres ; nous avions de bons lits, de l’air, et pour lieu de promenade un jardin splendide. Le palais est une des plus grandes conceptions architecturales qu’il ait été donné à un homme de réaliser. « Il est coulé d’un jet, » a dit Quatremère de Quincy, ce qui paraît vrai, tant les différentes parties en sont homogènes et parfaitement reliées entre elles. Vanvitelli, qui l’a bâti en 1752 pour Charles III, a eu le bonheur d’être seul à diriger son œuvre. La façade est imposante, quoique monotone ; quatre cours carrées divisent l’intérieur des constructions, à travers lesquelles s’allonge un grandiose portique que supportent soixante-quatre colonnes de marbre ; l’escalier est d’une imposante majesté, tout en marbre et surmonté d’une coupole peinte où les dieux assemblés admirent une Vénus qui me parut n’avoir point mauvaise tournure. La salle de théâtre est d’assez bel aspect, soutenue par seize colonnes enlevées à ce temple de Sérapis dont on voit les ruines à moitié baignées dans l’eau, sur la route de Pouzzoles. Les appartemens sont immenses pour la plupart, et pénètrent l’esprit de je ne sais quoi de triste et de servile qui émane de tous les palais déserts. L’appartement du feu roi est sinistre à voir ; pas un meuble n’y est resté : on a gratté les peintures et brûlé les boiseries, coutume royale que l’antiquité nous a léguée et qui finira par disparaître. Il pouvait y avoir une certaine grandeur barbare à ensépulturer un roi avec ses trésors, ses femmes et ses gardes ; mais il est bien puéril d’incendier la chambre où il est mort, à moins que ce ne soit impérieusement commandé par l’hygiène, ainsi qu’on l’a prétendu dans le cas présent. En effet, le roi Ferdinand II, qui était d’une corpulence énorme, mourut d’une si lente et si profonde décomposition, qu’on put dire qu’il avait, vivant, assisté à sa propre putréfaction. Il a fini courageusement du reste, implacable dans ses idées royales et faisant jurer à son fils de ne gouverner jamais que d’après les préceptes de l’absolutisme. Ces préceptes, mis en œuvre, devaient finir par