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appartenant à tous les genres, à quoi sert-il d’avoir décidé que chaque classe de l’Institut aurait à tour de rôle le droit de présenter ses candidats ?

Trois candidats ont été proposés : ce sont trois candidats diversement et inégalement célèbres. Je ne veux pas discuter leur mérite respectif ; je ne veux chercher qu’à me rendre compte d’une seule chose, à savoir quel est de ces trois concurrens celui qui représente le mieux Racine, celui qui s’est montré le peintre le plus profond, le plus délicat et le plus vrai des mœurs et des passions humaines. Des trois candidats présentés, un seul remplit ces conditions : c’est Mme Sand. Ses romans sont nos Bérénice, nos Phèdre et nos Andromaque, à nous bourgeois du XIXe siècle ; personne ne le contestera, j’espère, à l’Académie moins encore que partout ailleurs. Je m’en tiens à ce point unique, et, ne voulant rien dire de désobligeant pour les deux autres candidats, je ne chercherai pas quel est celui des trois concurrens qui mérite le titre d’illustre, et dont les œuvres honorent le plus la France et l’esprit humain, pour prendre les propres expressions du programme, quoique la question ait bien aussi son importance, si l’on tient à rester fidèle à la lettre du décret. Je ne blesserai personne, j’imagine, en disant que Mme Sand est le seul de ces trois candidats qui soit vraiment un écrivain de génie, et qu’il y a entre elle et ses rivaux la différence qui sépare la gloire de la notoriété. J’écarte à dessein cette question pour mieux faire ressortir ce point de droit, que, les trois candidats fussent-ils tous trois également doués de génie, c’est encore Mme Sand qui devrait l’emporter. Les deux autres concurrens pourraient être des publicistes aussi profonds que Montesquieu et des historiens aussi éminens que M. Guizot, que leur génie ne pourrait en bonne équité leur donner droit à la récompense que l’Académie est chargée de décerner. Ils devraient être exclus du concours à cause des genres mêmes dans lesquels leur génie se serait déployé, genres qu’une autre académie est spécialement chargée de couronner. Il nous semble aussi injuste pour le moment que les concurrens viennent disputer le prix à Mme Sand qu’il serait injuste que dans deux ans d’ici Mme Sand vînt réclamer à l’Académie des Sciences morales une récompense à laquelle ils ont droit. En vertu de quel privilège les historiens et les publicistes auraient-ils deux académies à leur service, lorsque les poètes et les romanciers n’en auraient qu’une ? Je ne dis pas que les concurrens de Mme Sand n’aient pas droit à une récompense de 20,000 francs, je dis qu’ils n’ont pas droit aux mêmes 20,000 francs qu’elle. Des trois candidats entre lesquels hésite encore l’Académie, Mme Sand est le seul qui, en bonne logique, devrait être maintenu, et cela en vertu, non de son génie, qui est incontestable, mais des œuvres mêmes dans lesquelles ce génie s’est manifesté ; cependant c’est elle qu’il s’agit d’exclure de la liste au bénéfice de rivaux que leurs œuvres recommandent à une autre académie que l’Académie française !

Si on veut disputer le prix à Mme Sand, on le peut aisément. Elle ne représente pas à elle seule la gloire littéraire de la France ; il y a d’autres poètes illustres qui ont des titres à la récompense qu’il s’agit de décerner, des titres qui peut-être valent les siens. Oui, mais tous ces poètes font partie de l’Académie française, et, par un scrupule qui l’honore, l’Institut a exclu ses membres de tout droit à la récompense en question. C’est donc en dehors de son enceinte qu’il lui faut absolument trouver un écrivain littéraire, —