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Nous souhaitons qu’enfin l’on puisse arriver à exposer clairement l’état des finances françaises. Le reproche d’obscurité que nous adressons à nos finances paraîtra peut-être injuste à quelques esprits que par représailles nous nous permettrons de trouver pédans. Nos finances sont obscures, bien que l’arrangement de nos budgets passe pour une merveille d’ordre et de régularité. La tenue des livres est assurément une belle chose et qui sert admirablement à l’élucidation des résultats des opérations commerciales ; personne pourtant ne se contenterait de renvoyer purement aux livres d’une société industrielle le public inexpérimenté qui aurait besoin de se rendre compte de la situation complète et vraie des entreprises de cette société. Nous en dirons autant de nos budgets. Par les nécessités mêmes de la régularité des écritures, ils sont hérissés de détails et de complications qui les rendent inaccessibles. Il faut savoir les lire, et, ce qui est moins facile peut-être, il faudrait savoir les traduire ; il faudrait en outre, dans cette traduction, débrouiller les enjambemens des règlemens de compte d’une année sur l’autre, et ramener dans l’unité des exercices les excroissances des crédits supplémentaires. Ce travail est moins difficile qu’on ne pense ; cependant celui qui le tentera une fois d’une façon complète, et qui présentera au public en pleine lumière les articulations de notre système financier, aura beaucoup fait pour l’éducation politique du pays et pour le progrès de notre politique financière. Jusqu’à ce que cette tâche soit accomplie, on ne verra point clair dans ce mystérieux arcane de l’équilibre de nos budgets, qui donne lieu à des controverses si insipides et si stériles, parce qu’elles sont incertaines et partielles ; on ne pourra pas d’une main autorisée et sûre refréner les dépenses ou exciter l’élasticité des ressources. Jusque-là, on laissera les dépenses se produire pour ainsi dire au hasard : on continuera à pourvoir aux dépenses ordinaires par des ressources extraordinaires ; on laissera, avec une insouciance coupable envers les générations futures, croitre la dette consolidée, ou, avec une témérité compromettante pour le présent, s’enfler la dette flottante. Au lieu de s’appliquer aux réductions de dépenses, aux dégrèvemens de taxe, qui sont, en temps de paix, l’œuvre non-seulement utile, mais glorieuse, d’une société qui sait se gouverner, on cherchera à grossir le revenu par des moyens empiriques ; on s’ingéniera à inventer de nouveaux impôts : on songera, par exemple, à taxer les allumettes chimiques !

C’est un lieu-commun de s’étonner des dissemblances si profondes qui séparent deux pays aussi voisins que le sont la France et l’Angleterre. Le contraste que présentent en ce moment les deux gouvernemens dans leurs tendances financières est un nouvel exemple de ces nombreuses et surprenantes différences. Tandis que l’on s’occupe chez nous d’étendre ce que nos voisins appelleraient le domaine de l’excise, c’est-à-dire des taxes sur les produits intérieurs, en établissant un impôt sur les allumettes chimiques, le ministère anglais travaille à retrancher des ressources de l’excise un impôt qui ne produisait pas un revenu annuel de moins d’un million et demi