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Voilà la couche prête,
Voilà l’enfant venu.
Dans la barcelonnette
Il s’endort demi-nu.
Berçons, berçons ensemble
Le mignon aux yeux bleus
Qui sourit et ressemble
À nous deux.


VI. — LA CHERCHEUSE DE FRAISES.



Dans les jeunes taillis et les coupes récentes
D’où s’exhale l’odeur des fraises mûrissantes,
Depuis le fin matin, la fille du vannier
Emplit de fruits pourprés sa corbeille d’osier.
Elle est mignonne et brune, elle a seize ans ; sa taille
Est souple comme un jonc. De son chapeau de paille
S’échappent ses cheveux trop lourds et dénoués.
Les bords de son jupon que la ronce a troués
Trahissent les contours de ses deux jambes nues,
Deux jambes de chevrette aux attaches menues
Que le soleil de juin dore sans les hâler.
Déjà son sein naissant commence à se gonfler,
Et quand elle s’arrête afin de prendre haleine,
On voit frémir les plis du corset de futaine.
La course et le temps chaud ont mis sa joue en feu,
Et l’éclat de l’été brille dans son œil bleu.
Il est midi : glissant par maintes échappées,
Le soleil comme un plomb tombe sur les cépées,
Et jusqu’aux lézards verts sous les pierres tapis,
Tous les hôtes des bois reposent assoupis.

Lassée, elle descend jusqu’au fond d’une combe
Où, dans le creux formé par un roc qui surplombe,
Goutte à goutte, une source à travers le gravier
Se tamise ; l’enfant recouvre son panier
D’un lit frais de fougère à la roche cueillie,
Puis le sommeil la prend ; sur son bras qui se plie
Sa tête se renverse, — et voilà ses yeux clos.
Ainsi parmi les blés les grands coquelicots
Se penchent, quand les pleurs des nocturnes rosées
Ont trop rempli leurs fleurs de gouttes irisées.