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Sur le calvaire elle pleure et réclame
Son fils Jésus que Judas a livré.

« Tu l’as vendu, Judas, ô Juif immonde !
Trente deniers, traître, tu l’as vendu !
Ton nom, Judas, jusqu’à la fin du monde,
Sera maudit pour ce sang répandu !

« Tu le surpris au jardin des Olives ;
Le blond Jésus, doux comme une brebis,
Laissa les fers meurtrir ses mains captives
Et les soldats déchirer ses habits.

« Avec des cris de mort, chez le grand prêtre
Ils l’ont traîné. Son corps brisé saignait,
Et sur le seuil, Pierre, oubliant son maître,
Au chant du coq trois fois le reniait…

« Enfans des bois, pâtres de la prairie,
Laissez vos yeux de larmes se remplir ;
Pleurez le fils de la vierge Marie,
Qui sur la croix pour nous s’en va mourir.

« Un coup de lance a troué sa poitrine,
Son sang jaillit ; — le maître bien-aimé,
Penchant son front tout couronné d’épine,
Pousse un soupir, et tout est consommé.

« Vous qui venez d’entendre la complainte,
Donnez, donnez des œufs blancs au chanteur,
Et vous irez, avec la Vierge sainte,
Droit vous asseoir près de Notre-Seigneur. »

Le chant monte, pareil aux rumeurs d’une ruche,
Puis se tait. La fermière alors ouvre la huche
Aux panneaux de noyer reluisans comme l’or ;
Les œufs nouveaux pondus, les œufs tièdes encor
Glissent dans le panier tout tapissé de mousse.
La bande des chanteurs s’éloigne. Leur voix douce
S’affaiblit et s’éteint dans le sentier qui fuit.

Ainsi de ferme en ferme ils vont jusqu’à la nuit.
Quand la première étoile à travers le feuillage
Tremble comme une larme, ils rentrent au village.
Leur pas plus lent trahit la fatigue et l’effort,
Et d’œufs frais le panier est rempli jusqu’au bord.