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II. — LA COMPLAINTE DU VENDREDI SAINT.


Voici le vendredi de la sainte semaine.
Les enfans des hameaux, quand l’aube luit à peine,
S’assemblent sur la place, et les voilà partis
Pour les bois, les aînés guidant les plus petits.
Ils suivent les détours des agrestes allées
Et vont devant le seuil des fermes isolées
Chanter selon l’usage et demander des œufs.
Silvain, le plus âgé, fier de ses sabots neufs,
Les fait gaîment sonner sur les cailloux, et Jacques
Répète la chanson et rêve aux œufs de Pâques.
Landry, l’enfant de chœur, porte le grand panier ;
Le petit Jean-Louis, qui marche le dernier,
Tout aise et tout gaillard au sortir de l’école,
Se taille un vert sifflet dans un rameau de saule.
Avril dans les taillis pousse de fins bourgeons,
Et les fleurs qui déjà s’ouvrent dans les buissons, —
Narcisses, jolis-bois, primevères.mielleuses, —
Paraissent agiter leurs têtes curieuses
Et saluer le groupe errant des écoliers.
Mais bientôt, par-dessus les branches des halliers,
On voit fumer les toits de la première ferme.
Pénétrant dans l’enclos qu’une barrière ferme,
La troupe des quêteurs se glisse sans parler
Jusqu’au seuil entr’ouvert d’où l’on peut contempler
Le bahut rebondi, le dressoir où tout brille
Et le chaudron fumant sur le feu qui pétille.
Aux aboiemens des chiens, la maisonnée accourt ;
La mère, les enfans, les valets de labour.
Les écoliers, rangés en cercle, font silence
Et se prennent les mains ; l’enfant de chœur commence,
Puis, sur un rhythme lent, mélancolique et doux,
Avec leurs jeunes voix ils l’accompagnent tous :

« Laissez dormir vos troupeaux dans l’enceinte,
Dans les sillons laissez souffler les bœufs,
Et venez tous entendre une complainte
Qui fait monter les larmes dans les yeux.

« Venez ouïr le chant de Notre-Dame,
La pauvre mère au cœur sept fois navré ;