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Oh ! mes chers compagnons, mes rêves de vingt ans,
Sont dispersés à tous les vents.
Vous dirai-je leurs aventures ?…
À quoi bon ? Pourquoi-revenir
Sur un amer souvenir ?
Pourquoi rouvrir de saignantes blessures ?

Non, mes amis, apprenez seulement
Que celle que j’aimais m’a trompé lâchement.
Son nom flétri reste dans ma mémoire,
Comme au fond d’un cercueil un cadavre hideux,
Et je veux oublier son odieuse histoire
Dans les détours de vos sentiers ombreux ;

Car je reviens à vous, ô seuls amis fidèles,
Érables, noisetiers feuillus,
Sveltes bouleaux aux branches frêles,
Je ne veux plus vous quitter, jamais plus !

Vous me consolerez ; l’ombre de la futaie
Calmera la douleur dont mon cœur est rempli,
Et les petits oiseaux qui nichent dans la haie
Me chanteront la chanson de l’oubli.

Errant dans les herbes baignées
Par l’humidité du matin,
Au fond des traînes imprégnées
De parfums de sauge et de thym,
J’écouterai le chant lointain
Des bûcherons et des cognées.

J’épierai les enfans épars dans les halliers
Et les taillis rouges de fraises,
J’irai causer le soir avec les charbonniers
Qui veillent accroupis auprès de leurs fournaises.

Et dans vos profondeurs, ô grands bois assoupis,
J’essaierai d’oublier qu’il est de faux amis,
Et qu’en ce monde plein de navrantes misères,
Il naît des lâchetés, comme il naît des vipères
Et de froids scorpions sous les pierres tapis.