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d’exemple[1]. La carbonisation en forêt a pour objet d’atténuer sensiblement les frais de transport ; elle diminue le volume et le poids de la matière ligneuse, tout en conservant la valeur calorifique, et réussit de la sorte à rapprocher des lieux de consommation les forêts qui topographiquement en sont éloignées, Les bois de service, qui, sous un même volume, représentent une valeur plus grande que les bois de feu, peuvent supporter des frais plus considérables et se transporter beaucoup plus loin.

Ainsi c’est le prix des bois sur les lieux de consommation qui sert de règle au propriétaire de forêts, et qui détermine le bénéfice qu’il peut tirer de ses exploitations. Lorsque ce prix ne suffit pas à couvrir les frais de transport, le propriétaire a plus d’avantage à laisser les arbres périr sur pied, ou à les brûler pour en faire de la potasse, qu’à les abattre et les façonner pour n’en obtenir aucun profit. Si jusqu’en 1852 la plupart des forêts de la Corse furent inexploitées, ce n’était pas seulement par le défaut de sécurité, c’était surtout parce qu’il n’y existait aucune route. Pour se faire une idée de ce qu’étaient les voies de communication dans cette île, il faut savoir que des pins laricios, qui, rendus à Toulon, valaient jusqu’à 2,000 fr. pièce, ne se vendaient pas sur pied au-delà de 2 francs, et encore ne trouvait-on pas toujours des acheteurs à ce prix. Il n’y avait pour se rendre dans les forêts que d’étroits sentiers taillés dans le roc et suspendus au-dessus des torrens. C’étaient des femmes qui transportaient sur leur tête les planches et les pièces de bois nécessaires aux constructions ; les bois de chauffage arrivaient à la ville empilés sur le dos d’un mulet, et ils étaient vendus à la charge par les paysans qui circulaient dans les rues en criant : O legno !

Il ne suffit pas, pour rendre possible le transport des bois jusqu’aux centres de consommation, d’avoir un réseau de routes impériales ou départementales complet, se reliant à des chemins vicinaux de grande et de petite communication, toujours en bon état de viabilité ; il faut en outre un système spécial de routes forestières. Celles-ci, pénétrant dans toutes les profondeurs des massifs, viennent déverser sur les premières les produits des coupes qui arrivent des points les plus reculés. Ces routes ne sont elles-mêmes que des artères principales auxquelles viennent aboutir des chemins secondaires, ouverts seulement pendant une ou deux années pour

  1. On lit dans l’exposé des motifs du projet de loi présenté dans la session du corps législatif de 1860 pour l’exécution de routes forestières : « Les adjudications de l’administration des forêts font ressortir ces contrastes d’une manière frappante ; on y voit varier suivant les départemens le prix des bois de construction de 60 francs à 8 francs, celui des bois d’industrie de 45 fr. à 2 fr. 35 cent., celui des bois de chauffage de 15 fr, à 1 fr. 46 cent. »