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de la marine marchande et des autres industries, aujourd’hui sacrifiées aux exigences de la marine militaire.

La principale objection que soulève ce projet, c’est le temps nécessaire pour créer ces forêts spéciales et pour en tirer parti. Comment en effet s’embarquer dans une entreprise dont on ne pourra recueillir les fruits que dans cent ou cent cinquante ans ? Cet argument, qui aurait quelque valeur dans la bouche d’un particulier, tombe de lui-même dès qu’il s’agit de l’état. Dans un siècle, les besoins seront les mêmes qu’aujourd’hui, s’ils ne sont plus grands encore, et si l’état ne s’inquiète pas dès maintenant de savoir comment il pourra les satisfaire, il ne doit pas s’attendre à ce que d’autres s’en inquiètent pour lui. Les ressources dont il dispose sont insuffisantes pour ses besoins actuels : elles le seront bien plus encore dans l’avenir, s’il ne se préoccupe de s’en créer de nouvelles. Il y a cent ans que Buffon et Duhamel conseillaient précisément à leurs contemporains l’adoption de pareilles mesures : si on les eût écoutés alors, l’état ne serait pas aujourd’hui au dépourvu. Si en 1826 seulement on avait adopté le projet de M. Bonard, les effets s’en feraient déjà sentir. Il ne s’agit pas en effet de créer en bloc une forêt tout entière et d’attendre pendant tout un siècle les produits qu’elle peut fournir. La chose est beaucoup plus simple. Il suffit que l’état, devenu propriétaire d’un certain nombre de forêts dans les plaines du midi de la France et dans d’autres lieux propres à la production des bois de marine, s’occupe dès maintenant d’y introduire le système de culture dont nous avons parlé, et qu’au fur et à mesure des exploitations il repeuple en chêne les terres voisines jusqu’à concurrence de 80,000 hectares. En très peu d’années, on obtiendrait déjà des résultats sensibles qui ne feraient que s’accroître pendant toute la période de transition. Pendant ce temps, afin de ménager autant que possible les ressources nationales, il y aurait lieu de se pourvoir en grande partie à l’étranger.

Il existe en effet, en Afrique, en Guyane, dans l’Inde, de nombreuses forêts produisant d’excellens bois de construction qui, rendus en France, coûteraient moins cher peut-être que les bois indigènes, et dont on pourrait approvisionner nos arsenaux en attendant que nos propres forêts soient en état de le faire. L’Angleterre[1], où le domaine forestier de l’état est très restreint, fait venir presque tous ses bois de marine du dehors ; elle emploie en grande quantité le chêne d’Afrique, le teck de l’Inde, l’acajou, le greenheart du

  1. En 1859 les forêts de l’Angleterre appartenant à l’état, sur un revenu total de 50,329 liv. sterl. (1,258,000 fr.) ont fourni pour 13,061 liv. sterl. (325,900 fr.) de bois de marine. — L’importation totale des bois communs s’est élevée au chiffre énorme de 187 millions de francs, dans lequel le teck entre à lui seul pour 11,700,000 fr.