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le nombre il s’en trouve qui conviennent à certains usages spéciaux. Les courbes qu’on rencontre sont dues à des accidens de végétation auxquels l’homme est resté étranger ; c’est le vent qui a infléchi la tige dans une certaine direction, ou quelque insecte qui, en détruisant le bourgeon terminal, a favorisé le développement d’une branche latérale. Quoi de plus facile cependant que d’obtenir, quand on le voudra, des courbes et des courbans de toute espèce ? Liez ensemble les cimes de deux jeunes chênes, elles se souderont, continueront à végéter et formeront après quelques années une ogive qui pourra être employé, comme varangue ; infléchissez un arbre, il fournira des courbans ; dirigez chez un autre les branches dans tel ou tel sens, vous aurez des pièces coudées de toutes les formes ; espacez les arbres au lieu de les laisser en massif serré, et vous leur donnerez la force et l’élasticité de ceux qui ont végété en plein air. En un mot, donnez à vos forêts une culture déterminée, et vous en obtiendrez des produits que ne fournissent qu’accidentellement celles qui sont laissées à elles-mêmes.

Le système de M. Bonard fournit le moyen d’arriver à ce résultat, puisque en consacrant à la production exclusive des bois de marine une partie du sol de la France, on pourra donner à cette culture spéciale tous les soins nécessaires. L’étendue de 80,000 hectares, répartie sur différens points, est suffisante pour parer à toutes les éventualité. Le chêne ne végétant pas bien à l’état pur, il faut admettre qu’une essence étrangère, telle que le hêtre ou le pin, entrera pour moitié dans la composition des peuplemens : sur une production annuelle de 400,000 mètres cubes en grume, à raison de 5 mètres cubes par hectare, le chêne figurera donc pour 200,000 mètres cubes, dont 100,000 au moins seront propres à la marine. L’équarrissage, diminuant le volume de moitié, réduira ce volume à 60,000 mètres cubes de bois équarris, quantité plus que suffisante, puisque les besoins ne se montent qu’à 40,000. Avec un pareil système, il n’y aurait plus ni difficultés avec les fournisseurs, ni abus de pouvoir sur les propriétés particulières, ni complications administratives. L’administration forestière, chargée de la gestion de ces forêts, y effectuerait chaque année les coupes, livrerait directement dans les ports les bois propres aux constructions navales, et vendrait les autres par voie d’adjudication. Non-seulement la marine aurait ainsi ses approvisionnemens assurés, mais elle pourrait, suivant les circonstances, ou se procurer par des coupes anticipées des supplémens importans, ou laisser sur pied les bois dont elle n’aurait pas l’emploi immédiat, et éviter ainsi l’encombrement des arsenaux et les ravages des insectes. Les autres forêts de la France, affranchies de toute servitude, pourraient alors satisfaire aux besoins