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L’insuffisance de nos ressources prouve d’abord la nécessité pour l’état de traiter en futaie toutes ses forêts, afin d’en augmenter les produits, en second lieu l’impudence qu’il y aurait, ainsi qu’on le demande parfois, à défricher complètement toutes les forêts de plaine pour y substituer des prairies ou des terres arables. Sans doute les forêts doivent s’étendre principalement sur les montagnes, à cause de l’influence qu’elles exercent sur le régime des eaux, et parce que, végétant sur des sols rebelles d’ordinaire à toute autre culture, elles servent à mettre en valeur des terrains improductifs ; mais ce n’est que dans les plaines et sur les sols fertiles qu’on peut obtenu : des bois de marine de bonne qualité. Si ce motif ne suffit pas pour empêcher le défrichement des forêts particulières, du moins est-il assez puissant pour imposer à l’état l’obligation de conserver les siennes. Toutefois ces mesures seules seraient encore inefficaces, et le seul moyen de remédier à la pénurie actuelle, c’est d’adopter le système proposé en 1826 par M. Bonard, inspecteur-général du génie maritime. Ce système, qui consiste à consacrer 80,000 hectares environ du domaine forestier de la France à la production exclusive des bois de marine, a constamment été repoussé, grâce aux efforts de l’administration des forêts, qui craignait de voir la plus belle partie de son domaine soustraite à sa gestion. Telle n’était pas cependant la pensée de M. Bonard, qui savait très bien que les ingénieurs du génie maritime sont aussi étrangers aux questions de culture forestière que les agens forestiers peuvent l’être à l’art de construire des vaisseaux[1].

Si nos forêts sont presque dépourvues de bois propres à la marine, c’est, il n’en faut pas douter, parce qu’on n’a jamais rien fait pour en accroître la quantité. La production en est si complètement l’œuvre du hasard, que, pour un chêne propre aux constructions navales, il y en a cent qui ne le sont pas. Ces arbres, abandonnés à eux-mêmes, poussent comme ils peuvent, et c’est merveille si dans

  1. Voici en effet comment M. Bonard résume sa proposition :
    « Choisissez sur l’étendue des forêts de l’état une superficie du sol de la meilleure qualité, répartie entre les quatre bassins de nos principaux fleuves, à une distance modérée de nos rivières flottables ;
    « Que cette superficie soit exclusivement consacrée à la production des futaies navales, et spécialement affectée à l’approvisionnement ordinaire et extraordinaire de la marine royale ;
    « Qu’elle soit en conséquence soumise, entre les mains de l’administration forestière, au mode d’aménagement dit méthode allemande ;
    « Que l’institution en soit placée sous la sauvegarde commune des ministères des finances et de la marine, pour garantir à la fois sa perpétuelle intégrité et réunir dans les détails de sa régie les convenances mixtes qui peuvent seules en réaliser l’objet. » — Des Forêts de la France dans leurs rapports avec la marine militaire, page 61.