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successive des forêts domaniales, soit par l’exploitation abusive des futaies communales et particulières. Dans la situation où se trouve aujourd’hui le domaine forestier de l’état, on estime qu’il peut fournir annuellement 10,000 ; mètres cubes équarris de bois propres à la marine ; c’est, on l’a vu, le quart de la quantité nécessaire. Il reste donc 30,000 mètres cubes à demander aux forêts communales et aux forêts particulières, qui, beaucoup plus pauvres encore que celles de l’état, sont malgré leur plus grande étendue tout à fait incapables de fournir annuellement une pareille quantité de bois de construction, Une grande partie de ceux qu’elles produisent échappent d’ailleurs à la marine militaire, qui se trouve ici en concurrence avec la marine marchande et les autres industries. Voudrait-elle, pour se les réserver exclusivement, demander, comme elle l’a déjà fait, le rétablissement du martelage dans ces forêts ? Ce serait revenir à un régime déjà condamné par l’expérience, et les mêmes motifs qui l’ont fait abandonner peuvent encore être invoqués pour en empêcher le retour. Les communes ainsi que les particuliers doivent être libres de disposer des produits de leurs forêts, de les consommer directement ou de les vendre à ceux qui leur en offrent le meilleur prix, sans que l’état soit en droit de leur imposer à son profit aucun sacrifice. Même en supposant qu’on le rétablît, le martelage ne serait qu’un expédient illusoire, puisqu’il ne saurait, quoi qu’on fasse, créer des arbres qui n’existent pas.

Si la marine militaire, malgré ses prérogatives, malgré son budget considérable, malgré le personnel dont elle dispose, ne trouve pas à se procurer tous les bois dont elle a besoin, quelles difficultés ne doit pas rencontrer la marine marchande abandonnée à ses propres, forces ! Ces difficultés sont, avec nos lois douanières, les principales causes qui la maintiennent dans un regrettable état d’infériorité. L’entretien annuel de nos navires marchands exige 60,000 mètres cubes de chêne, non compris les bois résineux[1] ; c’est moitié plus que la marine militaire, qui en réclame 40,000. Pour arriver à ce chiffre, il faut donc que la marine marchande se contente des rebuts de cette dernière et qu’elle fasse venir le surplus de l’étranger. Aussi paie-t-elle ses navires un quart plus cher que les Américains ne paient les leurs.

  1. En 1858, la marine marchande en France se composait de 15,187 navires, représentant un tonnage total de 1,049,844 tonneaux. En évaluant, suivant l’usage, à un mètre cube par tonneau la quantité de bois nécessaire à la construction d’un navire, la flotte marchande tout entière représenterait 1,049,844 mètres cubes équarris, et nécessiterait pour son entretien annuel 52,400 mètres cubes, qu’il faut porter à 60,000 à cause des déchets. On admet, comme pour la marine militaire, une durée moyenne de vingt années par navire.