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les forêts nationales des coupes extraordinaires auxquelles ne participa même pas l’administration des forêts, alors complètement désorganisée. En 1801, le premier consul reconstitua cette administration ; mais il étendit aussi beaucoup les prérogatives de la marine. Un tarif uniforme pour toute la France fixa d’une manière invariable le prix des arbres choisis par elle, suivant les pièces qu’ils pouvaient fournir. Les adjudicataires des coupes transportaient ces arbres équarris jusqu’aux rivières navigables, où ils devaient être reçus par la marine. Ceux qui étaient rejetés comme impropres leur restaient pour compte, et devenaient parfois d’une défaite très difficile, puisque, façonnés pour la marine, ils n’étaient plus propres aux constructions civiles, et qu’ils avaient subi en pure perte des frais de transport considérables. Il y avait donc là pour les adjudicataires une cause de dommages qui nuisit beaucoup au succès des ventes de coupes dans les forêts domaniales. Aussi arriva-t-il souvent qu’ils cherchèrent à s’affranchir des charges qui leur étaient imposées, ou même à les faire tourner à leur profit. Voici comment. Le tarif du prix des pièces de marine étant uniforme pour toute la France, quoique les bois n’eussent pas partout la même valeur, il en résultait que sur certains points la marine les payait trop cher, tandis que sur d’autres elle n’en donnait pas un prix équitable. Les adjudicataires s’entendaient alors avec les contre-maîtres chargés de la réception pour leur faire rejeter les pièces dont ils trouvaient à se défaire plus avantageusement dans le commerce, et pour leur faire accepter au contraire celles dont ils n’auraient point trouvé ailleurs un prix plus élevé. Les fournitures ne se faisaient plus alors qu’en bois de qualité inférieure, et le trésor public subissait un double préjudice.

Si le martelage ainsi exercé était onéreux pour l’état, il l’était bien davantage encore pour les particuliers. Au lieu de le restreindre, comme l’avait fait l’ordonnance de 1669, aux forêts les plus voisines de la mer, la loi du 9 floréal an XI (1803) l’étendit à tous les arbres appartenant aux particuliers, sans distinction d’essences ni de dimensions, même à ceux des parcs et des avenues. D’après les dispositions de cette loi, les propriétaires étaient tenus de faire six mois à l’avance la déclaration des arbres qu’ils voulaient abattre ; la marine faisait marteler ceux qu’elle jugeait propres à son service et avait une année entière pour en prendre livraison. Ce n’était qu’à l’expiration de ce délai, et après une mise en demeure préalable, que le propriétaire avait le droit d’en disposer pour son compte, si les ingénieurs n’en avaient pas voulu. Il était difficile d’imaginer rien de plus vexatoire et de plus arbitraire. Malgré l’omnipotence qu’elle exerçait sur tous les arbres de l’empire, la marine