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que le producteur français. Quoi qu’on en dise, le plus sûr moyen d’arriver à l’abondance n’est pas de commencer par faire artificiellement la disette. Cet argument de coquette qui refuse ses faveurs pour mieux en faire sentir le prix n’a pas de valeur en matière industrielle. Quant à celui qu’on a tiré de la nécessité pour chaque pays de produire lui-même les objets nécessaires à la défense nationale, argument avec lequel on a si habilement réussi à effrayer les esprits, M. Wolowski en a fait bonne justice[1]. Le savant économiste a prouvé que, pour armer un million d’hommes, 30,000 tonnes de métal, fer ou fonte, sont plus que suffisantes, et qu’en présence de notre production annuelle, qui s’élève aujourd’hui à 894,100 tonnes de fonte et 478,400 tonnes de fer, il n’est pas probable que nous soyons jamais pris au dépourvu. En admettant même que, par le libre échange, tous nos hauts-fourneaux dussent s’éteindre, rien n’empêcherait l’état d’en faire marcher quelques-uns pour son propre compte, afin d’avoir toujours disponible la quantité de métal jugée nécessaire à la défense nationale.


II. — LES BOIS DE MARINE.

Avant l’application de la vapeur à la navigation, les navires étaient construits en bois ; mais lorsqu’on eut besoin d’un espace plus considérable pour loger le moteur et le combustible en même temps que d’une plus grande force de résistance dans la coque, on dut changer le système de construction jusqu’alors adopté. Le bois étant trop faible et ployant sous le poids de la machine, on lui substitua le fer. La coque en fer est plus légère que la coque en bois, elle fournit à égalité de déplacement un tonnage plus élevé, elle est moins sujette aux avaries, présente plus de sécurité, et résiste mieux aux efforts du moteur. Aussi dès 1843 se mît-on en France à imiter l’Angleterre,

  1. « Combien, dit-il, faut-il de fer pour armer un million de soldats et pour les armer jusqu’aux dents ? Un fusil de munition avec sa baïonnette pèse 4 kilogrammes (bois non compris) ; un revolver à huit coups, solidement établi, ne demande pas un kilogramme de fer ; les briquets, les sabres, les pistolets ne sont pas plus exigeans, et, en estimant en moyenne à 10 kilogrammes de fer l’armement du soldat, nous tenons compte des réserves nécessaires et ne courons qu’un danger, celui de gêner les mouvemens en faisant porter une charge trop lourde. Or 10 kilogrammes par homme donnent, pour une armée d’un million, 40 millions de kilogrammes, c’est-à-dire 10,000 tonnes. Ajoutez-y ce que demande l’artillerie, en comptant trois pièces par mille hommes et un approvisionnement de quatre cents projectiles par pièce ; ajoutez-y le fer nécessaire pour les voitures et les chevaux, et avec la meilleure volonté du monde vous n’arriverez pas à doubler cette quotité. Portons le chiffre à 30,000 tonnes, ce sera énorme, invraisemblable : au moins nous aurons l’avantage d’être guéris du mal de la peur. » — Voyez la Réforme douanière, Journal des Économistes, mars 1860.