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il est donc juste qu’elle nous indemnise d’une manière quelconque, ou tout au moins qu’elle nous assure le débouché de ces bois qu’elle nous force à produire, De tous les débouchés possibles, un des plus importans étant l’industrie métallurgique du fer, il faut, pour nous le garantir, empêcher Introduction chez nous des fers étrangers, car, si les hauts-fourneaux français sont obligés d’éteindre leurs feux devant cette concurrence, ils ne nous achèteront plus de combustible, et nos propriétés resteront improductives entre nos mains.

Cet argument, très sérieux à une certaine époque, a aujourd’hui perdu beaucoup de sa valeur, puisque la prohibition du défrichement n’existe plus que comme exception et dans certains cas spéciaux déterminés par la loi. On doit néanmoins reconnaître que pour les forêts qui sont dans cette situation, il y a quelque chose de fondé dans les plaintes des propriétaires de bois. Pour que la loi fût équitable, il faudrait, ce semble, que tout propriétaire auquel l’autorisation de défricher sa forêt aurait été refusée pût mettre l’état en demeure de l’exproprier pour cause d’utilité publique, absolument comme la ville de Paris exproprie les particuliers qui refusent de se conformer aux conditions prescrites pour la construction des maisons dans certains quartiers. D’un autre côté, si le raisonnement des propriétaires de bois est fondé, c’est à tort que les maîtres de forges s’en sont servis comme d’un argument en faveur de la protection, car dans cette circonstance l’intérêt des premiers parlerait bien plutôt en faveur du libre échange.

Il y a peu de temps encore que, dans la double opération nécessaire pour transformer le minerai naturel en fer, c’est-à-dire la fabrication de la fonte et l’affinage du fer, on employait exclusivement le charbon de bois. Comme celui-ci constituait l’élément le plus onéreux de cette production, les forges s’établirent toujours à proximité des forêts, où on pouvait se le procurer à bas prix. Il arriva souvent aussi qu’au moyen âge les seigneurs, pour les attirer sur leurs domaines, constituèrent en faveur de ces usines des droits d’usage, et leur accordèrent gratuitement, ou moyennant une légère redevance, les bois dont elles avaient besoin. Depuis quarante ans environ, la houille, employée en Angleterre dès 1760, s’introduisit également en France dans cette fabrication, opérant ainsi une révolution industrielle dont les propriétaires de forêts pouvaient beaucoup souffrir. Pourquoi ne demandèrent-ils pas alors à la loi, au nom des principes qu’ils font valoir aujourd’hui, une protection efficace contre ce redoutable concurrent ? S’ils n’y songèrent même pas, c’est parce qu’ils sentaient bien que leurs plaintes auraient été stériles, et qu’ils auraient eu contre eux les maîtres de forges, à qui