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curieux, qui grimpaient sur les roues, sur la capote, sur les brancards. Pour ce monde en fièvre d’enthousiasme, il n’y avait qu’un cri : Vive l’Italie une ! et, ajoutant le geste à la parole, chacun levait en l’air l’index de la main droite. Descendu du ciel, dont il est après Dieu l’hôte le plus puissant, saint Janvier n’eût pas été mieux reçu que Garibaldi, si, comme lui, il fût entré à Naples.

Dès qu’un garibaldien, vêtu de la chemise rouge, hâlé par le soleil et traînant ses souliers troués, se montrait, il était entouré, saisi par les femmes, et par elles embrassé jusqu’à crier grâce ! Quelquefois cette foule se déplaçait tout à coup, sans motif apparent, comme prise d’un vertige subit, et courait vers un point où elle se massait pour voir passer une voiture qui le plus souvent ne contenait personne. Un hymne en l’honneur de Garibaldi avait été en quelque sorte improvisé, et on le chantait à tue-tête. Nous échappâmes de notre mieux aux ovations qui nous arrêtaient à chaque pas, et, fatigué d’être embrassé, tiraillé, acclamé, je courus me délivrer de ma compromettante casaque rouge pour mettre des vêtemens qui ne me vaudraient ni poignées de mains, ni accolades.

Le 6 septembre au soir, vers sept heures, le roi François II s’était embarqué pour se rendre à Gaëte ; le 7, dans la matinée, Garibaldi avait reçu à Salerne les députés de Naples, et vers midi et demi, accompagné d’une dizaine d’officiers, il était arrivé par un train express dans la ville, où la garde nationale l’attendait. Il avait accepté l’hospitalité au palais d’Angri, vaste et imposante maison qui s’élève au bout de la rue de Tolède. Selon sa coutume, négligeant les appartemens somptueux, les salons et les galeries, il avait choisi une toute petite chambre en haut de la maison, sorte de mansarde plus que modeste où il s’était établi, abandonnant le reste du palais à son état-major. Pour cet homme accoutumé aux immensités de la mer et à la libre vie sous le ciel1, ce qui importe avant tout, c’est de l’air et un large horizon. Son premier soin avait été de constituer son gouvernement et de nommer un ministère. De cela je ne parlerai pas, car j’ignore absolument la valeur et même la nuance politique des hommes qu’il appela près de lui pour le seconder dans cette œuvre difficile de tout remplacer rapidement sans rien détruire avec violence. J’ai entendu prononcer des noms, mais pour moi c’étaient des vocables qui n’avaient pas plus de signification que les mots d’une langue inconnue ; j’ai écouté des appréciations, mais je me donnerai bien garde de les répéter, car je n’ai pu en contrôler l’exactitude. La politique intérieure passait à côté de nous sans nous atteindre ; elle n’était pour nous qu’un accident tout à fait temporaire et insignifiant dans une œuvre générale dont elle ne pouvait modifier sensiblement ni la fin, ni les moyens. Nous apprenions parfois qu’on avait