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Il n’est pas jusqu’à la propagation des connaissances géographiques, jusqu’aux relations des voyageurs, jusqu’aux rapports établis par le commerce entre les peuples les plus éloignés, jusqu’aux nouvelles apportées chaque matin de l’Inde ou de la Chine, qui ne contribuent à briser le cercle des notions dans lesquelles se meuvent les idées religieuses du judaïsme et du christianisme. Il y a trente ans, nous ne connaissions encore la terre que d’une manière vague et générale. La seule partie qui nous en fût familière était celle que nous occupons. Aujourd’hui nous sommes entrés en relation avec les nations les plus éloignées, et ces milliers d’hommes semblables à nous, et dont nos systèmes ne daignaient pas s’occuper, sont devenus pour nous un fait et une réalité. Dès lors une foule de questions se sont posées. Qu’a de commun l’Évangile avec des peuples dont l’existence n’était pas même soupçonnée lorsque l’Évangile a été donné au monde ? Est-il possible d’espérer, est-il raisonnable d’attendre que notre religion finira par trouver accès parmi des hommes de races si différentes de la nôtre ? Faut-il, en attendant, regarder toutes ces créatures humaines comme vouées à la perdition, et, si elles peuvent se passer du christianisme, l’aspect sous lequel le christianisme se présente au monde n’en est-il pas changé ? les menaces dont il poursuit l’inconverti n’en sont-elles pas affaiblies ? Autant de difficultés pour lesquelles l’Écriture sainte n’offre point de solution et ne saurait en offrir, puisque les données mêmes du problème n’existaient pas dans l’antiquité.

Ainsi les doutes religieux qui de nos jours s’élèvent dans tous les esprits ne sont pas le résultat d’une aversion naturelle pour des doctrines dont le joug pèse à nos passions et humilie notre orgueil ; le scepticisme moderne n’est pas davantage le fruit d’un rationalisme frivole ou d’une métaphysique entichée de ses conceptions : non, il est l’effet de la transformation insensible que la propagation des connaissances, l’observation, la réflexion, ont opérée dans les intelligences. La religion biblique repose sur une foule de notions, elle est comme liée à un nombre infini de manières de voir et de façons de raisonner qui nous sont devenues étrangères. Nous pouvons sans doute retrouver dans l’Écriture un élément de beauté et de vérité éternelles, mais à la condition d’y dégager l’esprit de la lettre ; la Bible, prise dans son texte, appartient au monde ancien ; c’est une œuvre magnifique, mais une œuvre du passé, et il nous serait aussi difficile de l’adopter pour la règle de nos connaissances que d’accepter la topographie infernale de la Divine Comédie.

Nous avons parlé jusqu’ici de la Bible et du christianisme. Ce n’est là toutefois qu’une partie de la question. L’étude des religions a fait des progrès, et ici encore on est arrivé à reconnaître que les