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de l’histoire romaine sont devenus entre les mains des Niebuhr et des Mommsen. Des époques moins éloignées n’ont pas mieux supporté l’épreuve. Il suffit de comparer l’ouvrage classique de Michaud avec les recherches de M. Sybel pour s’assurer que l’histoire généralement reçue de la première croisade est un roman, et l’on a vu les héroïques aventures de Guillaume Tell rentrer dans le domaine de la fable du moment qu’on a voulu en suivre )es traces au-delà des chroniqueurs du XVIe siècle ou les concilier avec des faits mieux constatés.

La critique ne pouvait s’exercer ainsi sur les traditions des peuples sans finir par aborder l’histoire sacrée. Puisque le christianisme est une religion historique, puisque les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament ne sont pas tombés du ciel, mais ont eu une origine humaine, des destinées terrestres, une histoire en un mot, il n’y avait aucune raison valable pour ne pas les étudier avec la même liberté, disons mieux, avec la même rigueur que toute autre histoire ou tout autre livre. Telle est la tâche à laquelle l’Allemagne s’est appliquée, depuis Lessing et Semler, avec une sagacité, une patience, une exactitude, une érudition incroyables. Le résultat de tous ces travaux n’a pas été seulement de rectifier certaines vues ou de renverser certaines opinions, mais surtout de renouveler le fond même de la théologie, de changer le point de vue général, de déplacer toutes les questions. Telle est en effet la puissance de l’histoire qu’un seul fait retrouvé ou rétabli modifie toute la masse des connaissances entre lesquelles il prend place : un fait est une lumière pour tous les autres faits, un fait suffit pour changer la face d’une science. La critique a su accomplir pour la théologie ce qu’elle avait accompli pour l’histoire, ce que l’histoire elle-même, en particulier l’étude comparée des langues et des mythologies, avait accompli pour la philosophie. Les vieux partis, les vieilles écoles s’imaginent qu’il s’agit toujours des vieilles controverses : ils s’escriment encore contre le déisme, le panthéisme, le rationalisme ; ils continuent à parler des prophéties, des miracles, sans se douter que ces termes et les discussions qu’ils représentent n’ont absolument plus de sens aujourd’hui. C’est bien de cela, en vérité, qu’il s’agit à cette heure !

Les Anglais n’ont pas le tempérament critique, mais ils ont une raison vigoureuse et une certaine probité intellectuelle qui les aide à triompher des préjugés, auxquels ils sont naturellement plus enclins que d’autres. Les travaux de la théologie allemande n’excitèrent d’abord chez eux que l’indignation et l’effroi. Peu à peu cependant quelque esprit plus aventureux s’enhardit jusqu’à regarder le monstre en face ; la confiance revint lorsqu’on vit des hommes comme