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réprimer le désordre. Qu’on joigne à tout cela l’espionnage réciproque, et l’on verra combien profondément l’autorité japonaise pénètre au cœur des populations. L’individu est par tous les côtés surveillé, contenu, dirigé, et il faut vraiment que les Japonais aient une énergie bien virtuelle pour qu’un tel système ne les ait pas absorbés et qu’il ait laissé subsister en eux une si vivante personnalité.

Les princes fournissent un contingent qui s’ajoute aux troupes impériales. La condition militaire est estimée, et nous avons vu que les soldats appartiennent à une des classes supérieures. Ils ont des terres données à titre de fiefs, en récompense de leurs services, par le gouvernement ou par les seigneurs dont ils dépendent. On évalue l’armée impériale, sans les forces des princes, à 100,000 fantassins et 20,000 cavaliers. Bien que depuis des siècles il n’y ait point eu de guerres extérieures, l’armée passe pour être animée d’un bon esprit ; depuis plusieurs années elle est exercée avec soin, et le gouvernement a pris des mesures pour l’armer à l’européenne. Des corps entiers sont munis de fusils a percussion et à baïonnettes ; on a récemment fabriqué un grand nombre de canons et de revolvers, et on écrit de Kanagawa que dans ces derniers mois on a dépensé en exercices autant de poudre qu’il en faudrait pour une campagne. Dans l’automne de 1859, un envoyé français remettait au gouvernement japonais des présens parmi lesquels se trouvait un canon ; on lui fit demander si cette pièce était rayée, ce qui indique que les Japonais s’étaient tenus au courant des événemens survenus en Europe, car cette invention était alors récente.

Ils ont aussi construit une escadre à vapeur. Lorsque lord Elgin pénétra avec Furious et Rétribution dans la baie de Yédo, il ancra à côté de quatre vaisseaux de guerre japonais. Tout récemment un de leurs steamers, fait sans précédent, a traversé le Pacifique ; leurs ingénieurs l’ont manœuvré eux-mêmes, sans assistance étrangère, et ils ont accompli le trajet dans le court espace de trente jours, avec une relâche à Honolulu. On sait combien ces Japonais ont étonné les États-Unis par leur intelligence, leur curiosité, leur fierté et leur supériorité manifeste sur tout ce que l’on a jamais vu de Chinois de San-Francisco à Washington. L’école des ingénieurs instituée à Nagasaki a été transportée à Yédo, où elle se passe maintenant du secours de ses maîtres européens. Enfin depuis le commodore Perry, qui apporta le premier dans l’archipel un télégraphe électrique, les Japonais ont très bien appris à se servir de cet instrument. Les jonques indigènes sont massives, munies de mâts trop longs, de lourdes vergues, de gouvernails incommodes ; mais ces modèles, difficiles à manier et qui leur furent imposés, dit-on, lors de l’expulsion des étrangers, dans le XVIIe siècle, pour leur interdire les longs voyages et les relations lointaines, sont aujourd’hui