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forcé le micado d’échanger l’activité du commandement contre l’existence passive et misérable d’une idole. De Sin-mou (660 avant Jésus-Christ), le premier micado, jusqu’à Gotoba (1186 de notre ère), le quatre-vingt-deuxième, qui fut réduit à subir le joug du syôgoun, ces chefs ont régné seuls durant une période de dix-huit siècles et demi. Ils étaient à la fois suprêmes pontifes et chefs des armées ; mais il semble que peu à peu le caractère guerrier se soit effacé chez eux devant celui du prêtre à la suite de révolutions et de discordes sur lesquelles il ne nous est encore parvenu que des notions incomplètes et confuses, on voit la puissance militaire passer aux mains des grands officiers appelés syôgouns. Ceux-ci s’arrogent ensuite tout le pouvoir politique, au milieu de luttes intestines qui paraissent s’être longtemps prolongées, jusqu’à l’époque où le général Mina-monoto-yori-tomo réduit le micado à quelques simples prérogatives spirituelles. Il le confine dans son palais, et devient de fait empereur, tout en conservant son titre modeste de syôgoun (général), auquel s’est ajouté celui de tycoun (grand prince). Ainsi se trouve inauguré, en l’an 1186 de notre ère, le régime qui prévaut encore au Japon.

Le micado vit donc, isolé de tous les intérêts terrestres, dans son palais de Miako, avec une douzaine de femmes et un nombre considérable de serviteurs. De loin en loin, il reçoit la visite et les hommages du syôgoun. On sait que le syôgoun a sa principale résidence à Yédo, et qu’il n’est, suivant les conventions de l’étiquette japonaise, accessible qu’à un très petit nombre de grands personnages. Sa dignité est héréditaire ; à défaut de descendans directs, son successeur est choisi dans certaines familles princières très limitées. Il ne lui reste aujourd’hui que peu de chose de ce pouvoir que ses prédécesseurs ont enlevé au micado ; la plus grande part en est passée aux mains d’un conseil d’état qui est le véritable moteur de l’empire. Ce conseil est composé de cinq membres de l’aristocratie, choisis par le tycoun lui-même parmi les damios, c’est-à-dire les princes du plus haut rang. Chacun d’eux préside à un département particulier, et ils ont la direction des affaires intérieures et extérieures. Huit autres princes forment un second conseil, inférieur au premier et chargé des objets de moindre importance. Suivant le mode japonais, tous ces dignitaires, depuis le micado et le tycoun, sont, comme tous les sujets, même les moindres, soumis à la stricte surveillance d’espions. Les divers corps exercent donc les uns sur les autres un contrôle réciproque, et tout ce qui se passe dans l’empire parvient promptement à la connaissance du gouvernement. Les espions officiels adressent leurs rapports au conseil. C’est lui qui nomme les gouverneurs et secrétaires pour l’administration des provinces ; il exerce une certaine influence sur les princes, sans doute