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science qu’il avait cultivée. Un voyage en Italie était nécessaire ; l’idée lui en sourit, bientôt il s’en fit une fête. C’était un projet caressé depuis longtemps ; il y apportait les sentimens et les joies d’un artiste. Quand il partit, aucun de ses amis ne s’attendait à une séparation prochaine ; ses médecins mêmes comptaient sur les effets d’un meilleur climat. Une complication qui survint trompa ces espérances ; les fatigues de la route, les rigueurs du temps lui avaient porté le dernier coup. À son arrivée à Marseille, une fièvre typhoïde se déclara ; malgré les soins dont il fut entouré, il s’y éteignit le 14 décembre 1854.

On voit ce qu’était Léon Faucher : il y avait en lui une grande résolution, une généreuse activité d’esprit, unies à une certaine rigidité. Dans l’intimité, cette expression s’effaçait devant une affabilité naturelle. Sur ses traits fatigués, on pouvait lire les labeurs de sa vie, les tristesses de l’enfance, les combats de l’âge mûr. Deux qualités le distinguaient surtout, le sens moral, la fidélité aux croyances ; on peut dire de lui qu’il n’a jamais failli ni à ses devoirs ni à son drapeau. Comme homme politique, il avait, à défaut des grandes inspirations, les facultés sérieuses de l’orateur ; c’était un esprit ordonné, connaissant les affaires, en maniant la langue, soutenu par la conscience et l’amour du travail, qui seuls font le bon administrateur. Comme économiste, ses titres sont nombreux et très réels, quoique disséminés : il n’a pas, à proprement parler, d’œuvre dogmatique formant un corps de doctrines ; en revanche, il se montre en toute occasion le défenseur zélé des principes sur lesquels la science se fonde, la possédant à fond et prompt à la servir, portant dans la controverse une foi raisonnée unie à la notion des faits, à la patience des recherches et à un rare talent d’exposition. Un sentiment domine cet ensemble de facultés, les anime et les inspire : c’est le goût et la passion de la liberté. Faucher appartenait à cette génération qui en a été nourrie et qui s’éteint peu à peu en laissant de rares et généreux élèves. Qu’en des jours d’orage la pépinière ait disparu, ce n’est pas un motif pour désespérer ; les germes en restent, cela suffit. La liberté a deux manières de faire sentir son prix, par les bienfaits qu’elle répand ou par les vides qu’elle laisse. De ces influences, la seconde n’est ni la moins active, ni la moins sûre. Il peut paraître commode, salutaire si l’on veut, dans un moment donné de la vie des peuples, de supprimer la liberté ou d’en restreindre l’exercice au point de la rendre illusoire. Elle n’a rien à redouter de ces épreuves. Le temps la venge, agit pour elle, et la conscience de ce qu’elle vaut se réveille avec d’autant plus de vivacité qu’elle a été plus longtemps et plus manifestement absente.


Louis Reybaud, de l’Institut.