Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vertu qui est absente de nos mœurs, la sincérité vis-à-vis du fisc. Il a en outre l’inconvénient plus grave d’être ostensible : c’est ce que les administrateurs lui pardonnent le moins. Il s’adresse à la bourse des contribuables ouvertement, nominativement, sans dissimuler ce qu’il est, ni ce qu’il veut. Combien l’impôt indirect est plus habile, et avec quel art il sait se déguiser ! Il ne frappe pas la personne, mais les besoins ; il procède par petites fractions en portant sur de grandes masses, s’incorpore dans les choses et entre sur le marché comme un élément accessoire du prix, s’acquitte insensiblement sans que les contribuables aient la conscience du moment et de la manière dont il se paie. On sait bien ce qu’en tire un état ou une ville, on ignore dans quelle proportion chaque citoyen y contribue. Ces formes tempérées, ce mode presque imperceptible de recouvrement ont mis l’impôt indirect en crédit auprès des hommes versés dans les finances ; il semble être le meilleur, parce qu’il est le moins apparent. Aussi en a-t-on largement usé dans l’assiette des contributions. Tout ce qu’on pouvait y assujettir y a été assujetti, même les denrées les plus nécessaires, par conséquent les moins imposables. N’est-ce pas ainsi que nous voyons la caisse de la boulangerie de Paris, de temporaire qu’elle était, devenir peu à peu permanente ? Le procédé est commode et productif ; avec des centimes on fabrique des millions, et quand on a ainsi battu monnaie, il est difficile de renoncer à une telle pratique sans regret ni sans résistance.

Il y a pourtant, dans cette préférence pour l’impôt indirect, des dangers qu’il est bon de signaler et des préjudices qui, pour n’être pas visibles, n’en sont pas moins réels. L’aisance avec laquelle cet impôt se supporte est précisément ce qui entraîne à en abuser ; on ne se défie pas d’un instrument si léger, si maniable ; on l’applique à toute chose et sans mesure. Nulle forme d’impôt ne se concilie mieux avec des habitudes d’imprévoyance et de prodigalité, nulle ne laisse plus de champ aux aventures, de quelque nom qu’on les couvre, en rendant moins appréciable ce qu’elles doivent coûter. L’impôt direct, s’il est brutal, a du moins le mérite de la franchise ; il réclame une somme, il éveille dans l’esprit de celui qui la paie le désir de savoir ce que cette somme représente. Si c’est une guerre, on la discute ; un embellissement municipal, on en agite l’urgence. L’impôt direct est ainsi une école d’opinion. Chacun sait ou cherche à savoir à quel prix il est citoyen d’un état ou d’une ville. Un contrôle plus général naît de cette disposition des esprits. En outre, quand on compare les deux impôts, on est entraîné à une autre recherche : c’est de savoir à quelles conditions on les perçoit. Telle de nos contributions, les douanes par exemple, n’entre au