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du ministre attaqué : c’était la manière discrète dont il avait usé des fonds secrets. Là où M. Ledru-Rollin avait cru pouvoir employer 10,933 fr. par jour, Léon Faucher s’était contenté de 1,637 fr. Ces chiffres, apportés à la tribune, causèrent, même parmi les membres les plus exaltés, un étonnement mêlé d’un certain retour, et l’un d’eux, dans un accès de franchise, ne put s’empêcher de s’écrier : « Le coquin était bien honnête ! » Dans sa forme brutale et familière, le compliment est bon à recueillir : il renferme un hommage dans une insulte ; il dit bien ce qu’était Faucher, un cœur loyal, ennemi des mauvais moyens, aimant à convaincre plus qu’à corrompre, et ne cherchant pas d’autre appui à la fermeté de ses actes que la pureté de ses intentions.

Cette longue lutte avait brisé ses forces ; à peine avait-il pu, avec une voix éteinte, arriver au bout de la discussion. Bon gré, mal gré, il fallait user de ménagemens. Le vaste vaisseau de l’assemblée, que les plus puissans organes n’affrontaient pas impunément, était funeste à cette poitrine délicate. De l’avis des médecins, il demanda et obtint un congé ; on l’envoyait aux Eaux-Bonnes. On lui conseillait en outre d’éviter toutes les occasions de se produire, afin d’arriver à un plus prompt rétablissement. Il n’obéit pas toujours, et de passage à Bordeaux, il accepta un banquet où une médaille d’or lui fut votée. Même au pied des Pyrénées et tout en suivant un traitement, il ne pouvait se détacher des grands intérêts qui tenaient l’attention publique en haleine. Des travaux pour la Revue, des lettres aux journaux de province prouvaient que le soin de sa santé ne l’absorbait pas tout entier, et qu’absent ou présent, il entendait garder sa part d’influence sur les affaires. De retour des eaux, il traversa Limoges et rompit en faveur de sa ville natale un silence qui commençait à lui peser. Elle était sous l’influence d’opinions avancées, et avait envoyé à l’assemblée des représentans d’une nuance très vive ; les corps d’état, les ouvriers des fabriques y vivaient dans la dépendance de quelques chefs de sectes aussi habiles qu’audacieux. Comment se faire écouter d’un semblable auditoire ? Faucher n’en désespéra pas, et deux sentimens le poussaient à l’essayer : ramener au bien des compatriotes, infliger un échec de plus à d’implacables adversaires. Il eut donc une réunion, et y garda longtemps la parole avec des effets que ni ses amis ni lui n’avaient prévus. Il s’attendait à des murmures, il ne recueillit que des applaudissemens. Pourtant il n’avait pas épargné les vérités, même les plus dures, à une foule habituée à l’adulation et au mensonge ; il lui avait montré par quels chemins les conseillers de son choix la conduisaient de la révolte à la ruine, et par suite à la plus triste des égalités, l’égalité dans la misère. Ce langage fut non-seulement supporté, mais accueilli avec chaleur, tant est mobile