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avaient cessé, il ne se tint pas pour quitte de ceux de citoyen. Les rues de Paris étaient le siège de désordres menaçans ; il y descendit le fusil à la main sous l’habit de garde national. Le gouvernement provisoire songeait à la revendication des chemins de fer moyennant indemnité ; comme administrateur du chemin de l’Est et comme délégué des autres compagnies, il prit en main la cause du respect des contrats, et vint en aide aux ministres du gouvernement provisoire qui, au milieu de tant de vertiges, avaient conservé l’usage de leur raison. Quand l’empirisme eut ouvert ses chaires au Luxembourg et dans les clubs, entraînant à sa suite des légions d’ouvriers mal conseillés par la misère, il s’attaqua dans la Revue[1] aux systèmes insensés qui, substituant l’état à l’individu dans le domaine du travail, partaient d’une violence pour aboutir à un préjudice et à une injure. Il rappela à cette foule égarée que, partout où s’exerce l’activité de l’homme, la meilleure garantie de la justice est la liberté, qu’il n’y a de contrats sérieux que ceux dont les parties peuvent discuter les termes et qui reposent sur un mutuel consentement, que toutes les combinaisons jetées en pâture à la crédulité populaire promettaient ce qu’elles ne pouvaient tenir, blessaient la dignité des ouvriers autant que leurs intérêts, et, odieuses au plus haut point, avaient encore le tort d’être radicalement impuissantes. À l’appui des principes, il citait des faits, entrait dans la réfutation de systèmes qui n’avaient d’autre consistance que l’émotion dont ils étaient cause et les noms significatifs qui s’y attachaient. Faucher n’y usait pas de ménagemens, il disait avec vigueur et avec courage ce qui était alors dans la conscience de tous les gens de bien. Ces publications répondaient à un besoin si urgent que l’assentiment du public prit la forme la plus immédiate et la plus naturelle. Au mois d’avril 1848, le département de la Marne eut à envoyer des représentans à l’assemblée constituante. Léon Faucher passa en tête de la liste avec 84,000 voix : le mandat dont la force l’avait dépouillé lui était rendu par un libre et presque unanime suffrage. Si l’honneur était grand, les risques ne l’étaient pas moins : jamais assemblée ne se réunit sous l’empire de circonstances plus critiques. Les classes que, par le droit du vote, on avait appelées à participer à l’exercice du pouvoir n’avaient de ce pouvoir ni la notion ni le respect ; elles étaient plus disposées à l’insulter qu’à s’y soumettre. De là ces journées du 15 mai, du 24 juin, qui laisseront des dates ineffaçables dans l’histoire des égaremens populaires. Faucher s’y montra à la hauteur de ses devoirs, ardent pour la lutte et ferme devant le danger ; il s’associa aux efforts de M. de Falloux pour

  1. De l’Organisation du travail, livraisons du 1er et du 15 avril 1848.