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être en rougit-on maintenant. Le cas était le même quand Faucher débarqua sur le rivage anglais ; l’objet en litige était l’abolition des lois sur les céréales, avec deux camps en présence, celui des propriétaires du sol, celui des grands manufacturiers. De part et d’autre on employait les armes accoutumées, l’exagération des faits et du langage. L’accord existait sur un point, la détresse des ouvriers ; seulement on en tirait des conséquences opposées. Les manufacturiers l’attribuaient au prix des denrées et demandaient la franchise à l’entrée pour tous les produits alimentaires ; les propriétaires l’imputaient à l’abus que les manufacturiers faisaient de leur position et ne voyaient de remède au mal que dans une surveillance plus grande exercée sur le régime des industries et un développement généreux des institutions charitables. La devise des uns était l’aisance dans la liberté, celle des autres l’aumône dans le privilège. On comprend dès lors quel esprit anima les enquêtes qui se multiplièrent pendant les huit années où la question resta en suspens. Les deux partis avaient un intérêt à les rembrunir, soit pour exciter les libéralités volontaires, soit pour arracher au parlement des mesures auxquelles la majorité de ses membres répugnait. Dans tout cela, il y avait un but à emporter, un effet à produire, et en de telles mêlées le regard se trouble, la tête s’enivre, soit qu’on s’y engage comme champion, soit qu’on y assiste comme témoin.

Pour un observateur étranger, ce spectacle, en même temps qu’il éveillait sa curiosité, devait être un motif de réserve. Il fallait juger l’idée fixe du moment, la dominer et ne pas se mettre à sa suite. La ligne de conduite, il est vrai, était difficile à tenir. Comment se garder des pièges ? Même dans les observations personnelles, à quelles mains un étranger était-il livré ? Naturellement aux mains des hommes qui avaient acquis une certaine notoriété au sujet de ces matières. Ils étaient des moniteurs pour ainsi dire désignés et ne pouvaient diriger les recherches que dans le sens de leurs déclarations publiques. Une enquête réduite à ces termes n’était guère que le reflet de leurs opinions. À quel contrôle recourir ? Tous les partis trempaient par calcul dans un système de dénigrement ; tous s’accordaient à présenter les choses sous les couleurs les plus sombres. Faucher vit l’Angleterre comme on la lui montrait, et le tableau qu’il en a tracé n’a rien de flatteur. La civilisation anglaise y est accompagnée d’un tel cortège de misères, qu’en quittant le livre on se prend à plaindre plutôt qu’à envier un peuple qui se résigne à un pareil sort. Çà et là, l’auteur fait bien quelques retours ; à côté de tant d’ombres, il place un peu de lumière, rencontre des peintures vraies, rendues avec un grand bonheur d’expressions, dégage ses lecteurs de cette atmosphère malsaine pour leur faire respirer un air plus pur ; mais l’ensemble n’en est pas moins triste et morose. On