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fut enlevée à sa famille à Mozdok, lors de la prise de cette ville par Schamyl en 1838. En entrant dans le harem, elle est devenue musulmane, de gré ou de force, c’est ce qu’elle n’a jamais avoué, un vrai croyant ne pouvant épouser une infidèle. Elle est d’un caractère doux et inoffensif, bonne personne, sans autre prétention que de complaire au maître, bien différente d’Aminat, la plus jeune, encore jolie et sémillante, véritable enfant gâtée par le sentiment qu’elle a de sa beauté. Ses malices et ses désobéissances réitérées envers l’épouse en titre, Zeïdat, ont forcé Schamyl à la répudier. S’il fallait s’en rapporter à cette mauvaise langue de Khadjio, le vieil imâm au fond du cœur serait enchanté que quelqu’un eût la bonne idée de convertir Zeïdat au christianisme, et lui fournît un prétexte légitime de s’en débarrasser en la renvoyant au Caucase et de rappeler la pétulante Aminat, contre laquelle il témoigne en apparence tant d’irritation.

Il a eu de Fathime, la fille d’Abdoul-Aziz, cinq enfans ; l’aîné était Djemâl-Eddin, qu’il donna en otage aux Russes à l’âge de neuf ans, et qui reçut à Pétersbourg une excellente éducation. Rendu à son père en 1854, comme appoint de la rançon des princesses géorgiennes Tchatchavadzé et Orbélian, enlevées au château de Tsinondal, dans la Kakhétie, ensuite marié à la fille du naïb Talkhik, Djemâl-Eddin est mort il y a deux ans. Du sein d’une société chrétienne et polie transporté dans les âpres rochers du Caucase, étranger désormais aux habitudes d’une vie simple et grossière, il contracta la maladie de langueur à laquelle il a succombé. Son frère Gazy-Mahomet, âgé aujourd’hui de vingt-huit ans, le favori de son père et son compagnon d’armes, partagea son sort à la prise de Gounib. L’époux de la belle Kerima est loin, sous le rapport physique, d’être en harmonie avec la rose du Caucase. Son visage est criblé de marques de petite vérole ; ses yeux gris, qui brillent sous la fourrure de son bonnet noir, n’ont rien d’attrayant, ils expriment plutôt la ruse que l’intelligence. Il est, comme son père, de haute taille, bien découplé, et le type du cavalier parfait. — Mohammed-Scheffi, le troisième fils, est âgé de vingt et un ans ; il est aussi marié. — Ses deux sœurs, Napizat et Fathime, sont plus jeunes que lui, l’une d’un an, l’autre de trois. — Le dernier enfant de Schamyl, la petite Zeïdat, qu’il a eue de Schouanat, vint au monde en 1854, lors du séjour des princesses géorgiennes à Véden.

Au commencement de l’année 1860, la famille de l’imâm était encore dans le Caucase, à Ternir-Khan-Schoura, et Gazy-Mahomet avait été envoyé pour la faire revenir. À cette époque, l’absence de nouvelles de la mission dont il avait chargé son fils tenait l’imâm dans une impatiente anxiété et une vive inquiétude. Il craignait quelque obstacle à la réunion d’une famille composée d’élémens si