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une révélation d’Allah et un entretien face à face avec le prophète, et, après l’avoir obtenu, il apparaissait à ses murides, aux naïbs, aux kadhis, aux mollahs convoqués, pour leur annoncer la décision du ciel. S’il rencontrait chez une tribu de la résistance à ses volontés, ou s’il remarquait un refroidissement de zèle, il se vouait pareillement à une retraite de cinq ou six jours dans la mosquée, après quoi il en sortait, et en présence du peuple assemblé il prêchait l’amour de Dieu, la haine des Russes avec tant de force et d’enthousiasme, que l’attachement pour lui et sa doctrine se rallumait avec plus d’ardeur. Au milieu de sa péroraison, il apostrophait ses naïbs, leur reprochant leurs injustices et leurs oppressions, menaçant le peuple de la colère céleste, s’il accueillait les Russes, et lui annonçant que les mosquées seraient changées en églises, les femmes déshonorées, et les plus vaillans hommes faits soldats ou serfs.

Pour propager sa doctrine, il avait fondé auprès de chaque mosquée une école où les enfans étaient élevés dans les principes du muridisme. L’indépendance sauvage dans laquelle vivaient les tribus du Daghestan avait réagi d’une manière fâcheuse sur les mœurs publiques, quittaient très relâchées ; Schamyl entreprit de les réformer et de les ramener à la pureté qu’enseigne la loi religieuse. Il prescrivit à ses naïbs de favoriser les mariages précoces, mais en intervenant dans ces négociations délicates avec les égards dus aux familles. Malheureusement cette mesure, dictée par les meilleures intentions, devint, malgré lui, une source d’abus par la cupidité de ceux à qui il en avait remis l’exécution. Les naïbs dépêchaient de divers côtés des matrones chargées de s’informer des filles nubiles, et ils forçaient les parens à les marier à des jeunes gens qui obtenaient leur connivence moyennant une somme préalablement stipulée. Schamyl était intraitable dans la répression de ces manœuvres coupables ; le naïb était destitué à l’instant, sans préjudice de peines plus rigoureuses. C’est dans le même esprit qu’il menaça d’une amende toute femme qui serait surprise sans porter le schalvar (pantalon), insigne de la pudeur féminine dans l’Orient, et il flétrit publiquement celles de l’aoûl d’Inkhoulu qui, allant à la rivière chercher de l’eau, se baignaient en déposant leur schalvar sur le bord. Avant lui, il y avait quelques tribus (Akoual, Kalalal, Kidatl et autres) dont les femmes étaient notées d’infamie dans tout le Caucase, précisément parce qu’elles s’étaient déshabituées de revêtir le schalvar. La volonté ferme et persévérante de l’apôtre fît cesser au moins publiquement ces désordres.

Tous ses efforts tendaient à faire prévaloir dans la vie domestique des montagnes les règles du scharyat. Ces règles difficiles et austères