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l’émir avait résisté et le chiffre de ses troupes : on lui dit seize ans et seize mille hommes. Il sourit, comme s’il eût cherché à établir une comparaison à son avantage, et pour le temps pendant lequel il avait combattu (vingt-cinq ans), et pour le nombre de ses soldats.

Afin de régulariser ses rapports avec les naïbs et de leur transmettre ses ordres, il avait établi des préposés ou officiers-généraux (moudirs). Ces fonctions, qui ont été remplies successivement par les hommes en qui il avait le plus de confiance, étaient en dernier lieu entre les mains de son fils, Gazy-Mahomet. Ce n’est pas tout : voulant protéger les populations contre les exactions des naïbs et empêcher les concussions, il avait des surveillans (mouhtécibs) qui remplissaient leur mission secrètement. Leur nombre était indéterminé ; ils n’avaient pas de résidence fixé, et se transportaient d’un aoûl à l’autre, partout où ils soupçonnaient l’existence de quelque prévarication. L’institution des moudirs et des mouhtécibs est un emprunt qu’il avait fait à l’administration turque, d’après les conseils d’un Tchetchense, nommé Youçouf-Hadji, qui avait longtemps résidé à Constantinople.

La création de son artillerie, qui remonte à 1841, prouve seule combien il était supérieur à tout ce qui l’entourait, car il eut à vaincre alors l’opposition et les préjugés superstitieux des membres de son conseil suprême. Il fit d’abord mettre en état une vieille pièce du calibre de six qui était restée dans les montagnes. Les événemens de 1843 dans le Daghestan mirent en sa possession un nombre assez considérable de pièces de campagne ou de position. Il en garnit tous les points importans, qu’il fortifia avec le plus grand soin. Enfin en 1845 il établit une fonderie à Véden, où furent coulés, pendant les vingt-cinq années de son administration, une cinquantaine de canons. Les procédés de fabrication que lui-même a décrits dans une de ses conversations avec le commissaire du gouvernement placé auprès de lui à Kalouga sont tout ce que l’on peut imaginer de plus primitif ; aussi ces canons étaient-ils bientôt hors de service. Quatre seulement ont paru répondre à toutes les conditions qu’exige l’art de la balistique. Chaque canon portait le sceau de l’imâm avec cette inscription : « fondu par ordre de Schamyl. » Il avait trois poudrières en activité : à Ountsoukoul, Gounib et Véden, cette dernière mise en mouvement par un appareil hydraulique. À Véden, on fondait les boulets et on fabriquait les fusées de guerre. Les boulets portaient d’un côté le nom de Schamyl, et de l’autre ces mots : « que Dieu augmente et exalte sa gloire ! » Les fusées étaient si mal faites et produisirent si peu d’effet, qu’il ne tarda pas à y renoncer. La poudre était remise aux murides seulement. Lorsqu’il y avait un déploiement de forces extraordinaire et urgent, Schamyl en envoyait une certaine quantité aux naïbs, pour la distribuer aux