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de la Tchetchènia, avait la direction de la justice et le jugement définitif des procès.

La personne sacrée de l’imâm était sous la garde d’une troupe d’élite qui ne le quittait jamais, et recrutée parmi les murides les mieux éprouvés et convaincus de la sainteté de sa mission ; ils étaient au nombre de cent vingt, dont une partie continuellement en vigie autour de sa demeure, et l’escortant lorsqu’il se rendait à la mosquée pour présider à la prière. Chacun de ces hommes devait renoncer à tous les liens qui attachent à l’existence : garçons, rester dans le célibat ; mariés, s’interdire toute relation avec leur famille pendant la durée de leur service. Leur organisation était la même que celle du reste de l’armée, d’après la division décimale en usage chez la plupart des nations asiatiques : dix soldats pour un chef, dix chefs pour un officier supérieur, et ainsi de suite jusqu’à mille. Outre ses devoirs militaires, chaque soldat de cette troupe privilégiée était tenu de donner à ses frères d’armes l’exemple de l’accomplissement rigoureux des préceptes de la religion et du zèle à propager le muridisme. Ils étaient chargés aussi de la police secrète de l’imâm, police rendue vigilante et soupçonneuse par un état permanent de troubles et la crainte des défections, pénétrant dans l’intérieur de la vie privée, et surveillant même les kadhis et les mollahs.

Le territoire était divisé en circonscriptions, dont le nombre a varié suivant les vicissitudes de la fortune de l’imâm ; au moment de son apogée, vers 1844 et 1845, ce nombre était de vingt-quatre à vingt-cinq. À la tête de chacune était un lieutenant (naib)[1] investi de fonctions à la fois religieuses, politiques, militaires et administratives, chargé de percevoir l’impôt, de recruter des soldats, de faire observer strictement le scharyat (la loi extérieure), de vider les différends et d’arrêter le cours des vengeances personnelles. Chaque naïbat était subdivisé en cercles sous la juridiction d’un chef (debir), et les cercles en communes sous la direction d’un mollah, magistrat politique et judiciaire. Le nombre des aoûls compris dans un naïbat et l’étendue plus ou moins grande de cette lieutenance variaient de deux mille à sept mille familles, suivant le plus ou moins de pouvoir que l’imâm voulait confier à son représentant. Il

  1. Les Russes ont maintenu ce système de circonscriptions et de gouvernement local par des naïbs, que nomme l’empereur, avec un officier russe pour adjoint, relevant du commandât militaire du district. Ils ont laissé autant que possible aux montagnards leurs institutions démocratiques, leurs mehkémé assemblées populaires et leurs anciens pour chefs.