Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ancre dans la baie de Congio, près du cap Saint-Jacques, à l’embouchure du fleuve de Saigon. Le commandant de la Didon, qui bloquait Saigon depuis un an, se rendit immédiatement à bord de la frégate, et l’amiral Charner fut exactement informé des derniers événemens dont le sud de la Cochinchine venait d’être le théâtre. Plusieurs bâtimens de guerre français, après une heureuse traversée, se trouvaient dans la baie, dans la rivière, ou devant la ville de Saigon ; d’autres étaient attendus à chaque moment. Un seul désastre était à déplorer : le Weser, magnifique transport de 2,500 tonneaux, qui venait de Suez, chargé de provisions et de munitions pour le corps expéditionnaire, avait fait naufrage sur les bancs du Cambodje, à vingt-sept milles sud-ouest du cap Saint-Jacques. L’équipage avait été sauvé, mais le chargement presque entier, d’une valeur de plusieurs millions, était perdu. Les Annamites continuaient à se fortifier dans les positions qu’ils occupaient aux alentours de Saigon.

Le 7 février, l’Impératrice Eugénie, habilement pilotée par l’enseigne de vaisseau Narac, remontait à toute vapeur le profond, mais étroit fleuve de Saigon, et à midi, après quatre heures et demie de navigation, elle mouillait devant le quai de l’ancienne capitale de la vice-royauté du Cambodje. La distance entre le cap Saint-Jacques et Saigon est de cinquante milles. Depuis l’embouchure du fleuve Saigon jusqu’à la ville on compte trente-cinq milles à peu près. La navigation n’offre pas de dangers sérieux, mais elle est difficile et exige une grande attention. Les bords de ce cours d’eau sont entièrement plats et couverts d’épaisses forêts de rhizophorées, d’aréquiers, de cocotiers, de bambous, de palétuviers, etc. Dans le voisinage de la ville, on trouve de belles rizières.

Saigon occupe, sur une longueur de 2,000 mètres environ, le bord du fleuve. La ville est enfermée de trois côtés par des cours d’eau. À l’est coule le grand fleuve de Saigon ; au nord et au sud se trouvent l’arroyo de l’Avalanche et l’arroyo chinois. À l’ouest s’étend une vaste plaine couverte de petites collines tumulaires. C’est dans cette plaine que s’élevait l’ancien fort de Ki-oa et qu’on devait rencontrer les nouvelles lignes des Annamites. Saigon ne répond point à son pompeux titre de capitale de la vice-royauté du Cambodje. C’est un misérable village, composé de pauvres cabanes en feuilles de palmier, où aucun grand édifice public ou privé n’attire l’attention du voyageur. Une sale et laide population en haillons parcourt ses rues. Pour expliquer comment une telle ville peut être le centre d’un gouvernement quelconque et d’un commerce très florissant, il faut se souvenir que le commerce de riz qui se fait encore dans cette partie de la Cochinchine est exploité presque exclusivement par les colons chinois, qui demeurent dans une ville à part, la cité chinoise, à 6 kilomètres de Saigon.

Dans la semaine qui suivit l’arrivée de la frégate amirale, les autres navires de guerre et de transport de l’escadre vinrent la rejoindre à Saigon. Le 12 février, la flotte entière, à l’exception de la Garonne et de la Saône, y était réunie. Elle se composait de deux frégates : l’Impératrice Eugénie et la Renommée ; de quatre corvettes : le Monge, le Forbin, le Laplace, le Primauguet ; de quatre grandes canonnières : la Mitraille, l’Alarme, l’Avalanche, la Dragonne ; de sept chaloupes canonnières à vapeur, de dix grands transports à vapeur, et d’une douzaine d’avisos et autres navires, tels que l’Écho,