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foudroyer de son éloquence ; mais quelle erreur est la sienne lorsqu’il a l’air de croire que les réformes d’institutions n’ont de valeur que par ceux qui les proposent et suivant les moyens employés pour les accomplir ! Combien de choses qu’il défend et qu’il aime, combien de choses grandes et belles ont été fondées par des hommes qu’il eût combattus et par des moyens qu’il eût réprouvés ! Certes ce pouvoir temporel des papes qui lui paraît sacré eût-il offert le même caractère à ses yeux au temps où le fils d’Alexandre VI et où Jules II le constituaient dans sa forme moderne ? M. de Montalembert aime la liberté en France : il n’eût pas voulu sans doute la recevoir des mains d’un Mirabeau ! L’éloquent écrivain, repoussant aveuglément le don de la liberté de l’église, demande au contraire le rétablissement intégral du pouvoir pontifical, c’est-à-dire rien moins qu’une révolution véritable. Après tout, c’est encore un système. Des esprits plus modérés, tenant compte de la pression des faits consommés, proposeraient un moyen terme : Rome conservée au pape et neutralisée. Cet expédient arriverait bien tard et n’a pas plus de chance d’être accueilli par la cour de Rome qu’accepté par l’Italie. Là du moins il y a encore une pensée définie, capable de fixer les esprits, d’inspirer quelque confiance et quelque sécurité. Qu’est-ce au contraire que le refus de toute solution, l’absence de tout système, sinon la voie ouverte en permanence aux accidens de force, à la guerre ?

La petite embellie italienne a promptement rejailli sur les autres difficultés européennes. Les perspectives semblent être devenues moins sombres en Hongrie. Les ultra-Magyars sentent qu’il ne leur est pas possible de compter cette année sur une diversion du côté de l’Italie. L’on approche cependant du moment où le conflit doit naturellement éclater entre les prétentions hongroises et les nécessités du gouvernement impérial. Le parlement de l’empire va se réunir. Il est certain que les Hongrois n’y veulent pas être représentés. Le primat de Hongrie, qui s’est entremis avec une loyauté zélée pour amener une conciliation entre l’empereur d’Autriche et ses compatriotes, ne cache point le découragement que lui inspire l’inutilité de ses efforts. L’élément modéré reprenant un peu le dessus dans la diète hongroise, l’opposition à la cour de Vienne se renfermera dans les voies légales et dans le système de la résistance passive. La lutte traînera en longueur. Il faudra s’en féliciter, si, pendant ces délais, les Hongrois finissent par comprendre, nous ne dirons pas seulement leurs intérêts, mais leurs devoirs. C’est à dessein que nous nous servons de cette expression. Les Hongrois ont devant eux une occasion unique de faire pénétrer et d’établir définitivement l’esprit libéral dans le vaste empire autrichien. Ayant à leur tête une aristocratie riche et éclairée, fournissant à l’empire la fleur de son armée, imbus d’un attachement séculaire pour les garanties du système représentatif, il dépend d’eux de faire tourner au profit des idées libérales dans tout l’empire l’ascendant qu’ils y posséderont dès qu’ils voudront entrer dans le parlement central. Les Hongrois peuvent libéraliser l’Autriche. Or libéraliser l’Autriche, ce sera rendre à la cause de la