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l’Italie ; la présence d’un tel prétendant à la porte même de son royaume, les intelligences qu’il peut entretenir parmi ses anciens sujets, l’argent, les armes qu’il peut envoyer à ses partisans, ce foyer si rapproché de menées, d’insurrections, tout cela est-il compatible avec l’établissement d’un ordre quelconque dans la péninsule ? Et toutes ces difficultés, tous ces périls ne naissent-ils pas de notre intervention prolongée à Rome d’une façon qui ne se concilie avec aucun système politique qui se puisse expliquer et définir ? Ainsi, tout en estimant à son vrai prix l’accord qui s’est établi au sein du parlement piémontais, tout en prenant acte de la signification immédiatement pacifique que l’opinion a donnée justement à cet accord, nous ne pouvons avoir aucune illusion sur ce qui est le danger profond de la situation de l’Europe ; ce danger, on le voit par l’Italie, est dans l’indécision apparente et les contradictions passives de la politique française. Attendrons-nous que les événemens nous dispensent de logique et nous apportent les solutions dont nous hésitons à prendre l’initiative ? Mais c’est cette politique au jour le jour, perpétuellement expectante, qui n’ose point se formuler en système, prendre en quelque sorte conscience d’elle-même et se rendre manifeste à tous les yeux, c’est cette politique qui est pour nous une cause d’inquiétude. Lord Palmerston dit en plaisantant qu’il y aurait en ce moment en Europe assez de motifs pour une demi-douzaine de guerres respectables ; M. de Cavour, d’un ton plus sérieux, parle de l’étincelle qui suffirait à embraser l’Europe. Si par hasard l’une de ces guerres hypothétiques que le ministre anglais montre en ricanant venait à éclater, si une de ces mille étincelles que le ministre piémontais voit voltiger au-dessus de l’Europe minée rencontrait la traînée de poudre, ne serait-il pas fâcheux pour nous d’être surpris par la conflagration générale avec des responsabilités passivement encourues et des engagemens subis plutôt qu’acceptés ? Ne serait-ce point au contraire éteindre une des causes de guerre les plus prochaines et les plus redoutables que de trancher la question romaine tandis que la paix dure encore ? Un système, nous le répéterons à satiété, un système quelconque serait préférable à notre incertitude chronique. M. de Cavour a proposé une transaction grandiose, l’église libre dans l’état libre, transaction qui forcerait l’église en tout pays à devenir un des agens les plus vivaces de la liberté. Cette solution est trop philosophique suivant les uns ; d’autres, comme M. de Montalembert vient de le faire dans sa seconde lettre au comte de Cavour, repoussent cette solution, non par le raisonnement, mais avec la frémissante colère qu’inspire la lutte et qui éteint la raison dans les ressentimens-personnels. M. de Montalembert, qui a demandé toute sa vie cette liberté de l’église, ne veut pas l’accepter des mains de M. de Cavour et comme le couronnement des injustices que le Piémont a, suivant lui, commises contre la papauté. M. de Montalembert cède en ceci à la passion oratoire : lui qui a toujours rêvé la gloire d’être le Burke de la France, il est trop heureux de rencontrer devant lui une révolution à