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faut à notre avis éviter l’exagération. La politique de l’Italie ne sera pas immédiatement belliqueuse, soit ; l’Italie naissante n’ajournera pas cette fois la guerre extérieure au prix de la guerre civile ou de la discorde de ses chefs, soit encore ; mais, nous le demandons sérieusement, pense-t-on qu’il soit possible d’aller bien loin avec de pareils replâtrages ? L’Italie ne commence pas la guerre parce qu’elle n’est pas prête. Sur quoi Garibaldi et M. de Cavour se sont-ils mis d’accord ? Sur la nécessité de presser, d’achever les préparatifs militaires sans doute. Les grandes mesures financières et les armemens tendent au même but. Le ministre des finances, M. Bastoggi, présente le projet sensé et utile de l’unification des dettes des diverses contrées de l’Italie, il propose la création d’un seul grand-livre pour toute l’Italie, l’unité du crédit italien ; mais c’est pour faire sur-le-champ un appel énorme au crédit, c’est pour emprunter 500 millions, c’est-à-dire les ressources qui permettraient de compléter un armement immense. L’application de toute la politique italienne au moment où elle ajourne la lutte est donc toujours la guerre. Est-il prudent de tenir si grand compte des ajournemens et du bonheur avec lequel on a échappé à un accident, lorsque l’on demeure dans une situation provisoire que tout autre accident peut faire dévier ?

Ce provisoire si périlleux, c’est, à notre sens, la question romaine qui le perpétue. Nous demeurons là dans une funeste équivoque qui devient de moins en moins intelligible à mesure qu’elle se prolonge. Quant à nous, nous eussions compris, dans le temps nous eussions même souhaité que, dans son premier élan, l’Italie nouvelle ne dépassât point la Cattolica, qu’une expérience constitutionnelle fût tentée à Naples, et que l’on attendît de cette expérience la preuve, ou que l’Italie pouvait vivre dans la division en trois états, ou que l’unité s’y devait naturellement accomplir par le progrès et la force des choses. Pour conserver à la papauté une portion quelconque de son pouvoir temporel, il était indispensable de maintenir la monarchie napolitaine. L’Italie du midi étant en effet réunie à l’Italie du nord dans une même monarchie, comment se figurer qu’il est possible de faire subsister, enclavée dans un grand état, une petite souveraineté théocratique telle que celle des papes ? Si donc l’on voulait garder au saint-père un seul fragment de ses états, la prévoyance et la logique commandaient de s’opposer &-l’invasion des Piémontais dans les provinces de l’église, surtout le prétexte de cette invasion étant la conquête du royaume de Naples. Le jour où le gouvernement français a toléré que le général Cialdini écrasât la petite troupe du pape presque sous les yeux de notre garnison de Rome, le jour où le gouvernement français a supporté que le général Cialdini, après avoir conquis les provinces pontificales, allât donner la main à Garibaldi dans le royaume de Naples, le jour où le gouvernement français a souffert que le Piémont, non-seulement agît de la sorte, mais couvrît sa conduite d’une calomnie contre l’empereur, dont il prétendait avoir l’approbation, ce jour-là il parut évident