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l’union est si pressant, qu’une perspective de discorde peut, par la forte menace du péril, ramener les esprits à la concorde. Ils sont aussi dans cette période d’effervescence où les passions politiques s’imprègnent d’une sorte de fanatisme religieux ; et où, dans le commun enthousiasme qui élève les esprits au-dessus des questions personnelles, il est possible de pratiquer le pardon des injures. Quoi qu’il en soit, nous sommes heureux pour M. de Cavour et ses collègues que le ministère n’ait été pour rien dans les apprêts d’une manœuvre si peu digne et si peu sûre, bien que, pour cette fois, la manœuvre ait réussi au gré de ceux qui l’ont combinée.

On sait que Garibaldi écrivit, sans consulter personne, sa réponse au général Cialdini. Cette réponse avait sur la lettre qui la provoquait une véritable supériorité morale. Garibaldi y disait qu’il ne voulait pas descendre à se justifier du reproche d’avoir manqué au roi et au parlement, de s’être élevé au-dessus des lois, etc. C’est qu’en réalité le bon Garibaldi ne comprenait point ce que signifiait un tel reproche, adressé à lui qui donnerait sa vie pour le roi, et qui fait naïvement profession d’ignorance en matière de législation et de politique parlementaire. Après avoir entendu de la bouche de ses familiers beaucoup de propos incohérens, il tomba sur son vieil ami, le marquis Pallavicini. Le marquis dit à cette bonhomie embarrassée : « La façon de tout éclaircir, c’est de voir Cialdini. » Le général Cialdini étant venu chez M. de Pallavicini, Garibaldi, avec un vrai visage d’avril, moitié bourru, moitié souriant, lui dit : « Nous aurions dû nous couper la gorge, mais je crois qu’il vaut mieux nous embrasser, » et sans autre explication ils s’embrassèrent. Nous laissons aux Italiens le soin de marquer à leur gré la nuance de cette réconciliation, du plaisant au touchant et au grand. Le roi, de son côté, rapprocha Garibaldi et M. de Cavour. Quoique l’entrevue eût lieu au palais, le roi n’y assista point. Les explications furent longues. Garibaldi, voyant qu’on n’en voulait ni à lui, ni à ses amis, découvrant qu’on n’avait pas fait ce qu’on avait voulu en cédant Nice, — recevant probablement d’autres informations qui n’ont point transpiré, — serra la main du ministre de bon cœur, cela va sans dire, car Garibaldi ne donne pas autrement les poignées de mains, et tout fut arrangé à la joie générale. Les personnes bien informées font grand honneur de ce résultat au bon sens et au tact du roi. M. de Cavour se félicite hautement du bon vouloir qu’il a rencontré chez Garibaldi, qui a dépassé ses espérances. « Le vote de la chambre, dit-il avec une satisfaction légitime, ayant décidé la question politique sans que Garibaldi et moi y puissions plus rien, il ne restait entre nous qu’une question de personnes. Dans ces termes, la conciliation allait de soi, car nous sommes, l’un et l’autre, également incapables de rancunes personnelles. »

Ce dénoûment nous avertit de ne point toujours prendre au tragique le choc des opinions et des passions au sein du parti libéral et national italien. Nous pensons que l’on ne doit pas dédaigner, au point de vue du maintien de la paix, l’heureuse conclusion de cet incident, et pourtant ici encore il