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à ses volontaires de recevoir comme des frères ces Italiens que « les vendeurs de Nice, » ainsi qu’il les appelle, envoyaient contre lui. Ses violences étaient sa vengeance du quiproquo de Chambéry. Il la savourait à la tribune, sans se laisser déconcerter par les tempêtes qu’il soulevait dans la chambre. « Fâchez-vous, que m’importe ? je vous ai dit votre fait, » avait-il l’air de dire en regardant le banc des ministres avec une calme et candide malice qui touchait au comique. Le lendemain pourtant, à mesure qu’il écoutait les divers orateurs qui se succédaient à la tribune et qu’il entendait leurs argumens, voyant dans la majorité parlementaire une collection de braves gens, aussi bons Italiens que lui, parlant le même langage patriotique, il fut ébranlé, et modifia sensiblement son ordre du jour. Sans ses amis de la gauche, il se fût peut-être rallié à l’ordre du jour de M. Ricasoli. Qu’on eût ajouté à celui-ci un petit mot à sonorité guerrière, mais inoffensif, et le chef des volontaires eût été conquis ; mais la raison diplomatique, cette bête noire du patriote de Caprera, ne le voulait pas. Il était diplomatiquement nécessaire qu’un ordre du jour Garibaldi, eût-il été le plus doux possible, fût repoussé. Le ministère ne fit donc point un pas vers le général, qui lui avait fait de notables avances, et le général, de l’air le plus débonnaire du monde, se déclara non satisfait. Pour accomplir le miracle de sa conversion totale, il fallait encore la lettre du général Cialdini.

Le général Cialdini a un style à lui, qui n’est point fait pour plaire en France. On le retrouve tout entier dans sa fameuse lettre au général Garibaldi. Cette lettre n’a point été pourtant, à ce qu’on raconte, une œuvre spontanée, un coup de tête : c’est un acte qui entrait sans doute dans les sentimens du général, mais dont il aurait calculé d’avance l’effet politique de concert avec plusieurs membres de la chambre. Après le vote, la situation demeurait équivoque, puisque la réconciliation effective n’était point opérée. D’un autre côté, le mépris de Garibaldi pour les finesses, les ellipses, les sous-entendus diplomatiques, n’est point affecté : le général des volontaires n’entend rien au langage des insinuations et des réserves. Pour vaincre sa surdité, il faut frapper fort ; il faut, assure-t-on, lui dire les choses en face et un peu brutalement. Les habiles firent donc ce calcul : il n’y avait qu’un moyen de mettre un terme à l’ambiguïté de la situation ; c’était de porter l’antagonisme à l’extrême, de le présenter sous la forme la plus brusque, la plus violente. On se promettait un rapprochement d’autant plus net et plus sûr que le déchirement aurait été plus marqué. Pour remplir cet office, on avait ce qu’il fallait dans le général Cialdini : de l’ambition, le désir de refréner la personnalité exubérante de Garibaldi, un nom qui a marqué dans les succès militaires effectifs de la cause italienne, le langage soldatesque dans sa forme la moins retenue. Les Italiens avouent qu’un pareil procédé eût été périlleux dans tout autre pays : nous l’entendons bien ainsi, du moins pour ce qui concerne la France. Nous leur accorderons pourtant que, dans l’état de crise qu’ils traversent, le besoin de