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France préfère, spectateurs et acteurs, ont vu finir la pièce avec un commun plaisir.

Garibaldi partant de Caprera, arrivant à Turin, et, pour prélude à son entrée au parlement, envoyant des paroles brûlantes à des manifestations populaires, c’était bien la personnification de ces mois du printemps politique de 1861, qui, comme dit lord Palmerston, débutent comme des lions. Garibaldi, vivant emblème de ces giboulées, finit, lui aussi, comme un agneau. On s’est sans doute ému plus que de raison en France de cette hostilité éclatant entre Garibaldi et M. de Cavour. C’est l’effet des choses vues à trop longue distance ; c’est aussi l’application des susceptibilités que nous portons dans la politique faite arbitrairement à une nation qui ne sent point comme nous ; c’est enfin l’oubli du lien étroit qui unit, malgré des divergences de tempérament, les chefs du mouvement italien. Comment veut-on, quand l’œuvre de l’émancipation italienne est encore si fragile, lorsqu’il reste pour la consommer et la consacrer des entreprises si difficiles à conduire, que des hommes qui poursuivent le même but et ne varient que dans l’emploi de certains moyens ou l’appréciation de certaines circonstances se laissent emporter à des haines irréconciliables ? C’est en faisant ces réserves et en déclarant que nous ne comprenons pas, pour notre part, toutes les finesses et toutes les longanimités italiennes, que nous allons raconter la crise salutaire à laquelle les interpellations de M. Ricasoli ont donné lieu.

Le fougueux et doux patriote italien était arrivé à Turin, un peu grisé par sa solitude de Caprera, l’imagination échauffée par les déclamations de quelques-uns de ses amis, s’exaltant du reste à la pensée que son devoir était de défendre les volontaires, l’armée du midi, ses compagnons d’armes, dont il croyait les services systématiquement méconnus par le gouvernement. Nous tenons de témoins oculaires que c’est avec la figure la plus placide et de sa voix la plus calme qu’il est venu à la tribune prononcer ces paroles véhémentes où éclatait l’accusation de fratricide contre le ministère, lesquelles ont mis la chambre en feu. Ici, pour être juste, il est nécessaire de dire que le ressentiment de Garibaldi remonté au langage tenu par MM. Farini et Cialdini à l’empereur dans la triste entrevue de Chambéry. Les Italiens avisés, trop avisés, suivant nous, s’étonnent que Garibaldi ne veuille pas comprendre qu’afin que l’invasion des Marches et de l’Ombrie fût tolérée, il fallait qu’on feignît de marcher sur Naples pour le mettre à la raison, lui, Garibaldi. Ils s’émerveillent de sa candeur sans prendre garde si leur étonnement est suffisamment respectueux pour le gouvernement français. N’est-il pas bien flatteur pour nous de voir que Garibaldi est tourné en ridicule dans son pays, parce qu’il est demeuré convaincu que l’on avait été sincère envers nous à Chambéry ? Quoi qu’il en soit, Garibaldi, ayant pris la chose au sérieux, ayant cru qu’on venait réellement le combattre, s’imaginait avoir payé à l’esprit de concorde un tribut prodigieux en ordonnant