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le palais du génie, ce qu’il y a de plus saillant au troisième et dernier acte de la Statue

Il résulte de cette analyse, que nous avons rendue aussi exacte que possible, que c’est dans l’expression des sentimens doux et gracieux, dans les situations qui n’exigent pas de grands développemens, dans les morceaux d’un style tempéré et de courte haleine, que M. Reyer a le mieux réussi à donner la mesure de son talent. Voilà pourquoi nous avons cité avec éloge le chœur de l’introduction, la romance touchante de Margyane, quelques passages du duo entre Sélim et la jeune Arabe, enfin le récit de Sélim à la sortie de la caverne, cet élan lyrique auquel on regrette qu’une main vigoureuse n’ait pas donné tout le développement que comporte la situation. Au second acte, nous avons signalé un chœur pour voix d’hommes, une romance de Margyane et la cavatine que chante Sélim, enfin au troisième acte certaines parties du duo entre Margyane et Sélim, les adieux de Margyane et l’air de ballet du tableau final ; mais, dira-t-on, à cette énumération de choses gracieuses et distinguées qu’on trouve dans le nouvel opéra de M. Reyer, voilà qui n’est pas mal pour l’œuvre d’un jeune compositeur, et dans les temps difficiles où nous sommes ! — C’est même très bien, répondrons-nous, si l’on considère la Statue comme une espérance, mais ce n’est peut-,être pas assez pour constituer une œuvre durable qui renfermerait les germes, comme on essaie de le faire comprendre, d’un genre nouveau : d’abord, parce que M. Reyer doit avoir à peu près le même nombre d’années qu’avait Rossini quand il a terminé sa glorieuse carrière par Guillaume Tell, et puis parce qu’il y a des choses indispensables dans l’art compliqué de la composition musicale, qu’il faut avoir apprises de bonne heure.

L’exécution de la Statue est assez soignée. Les chœurs, l’orchestre, les costumes et la mise en scène méritent des éloges. M. Monjauze, dont la voix de ténor s’est fortifiée, tire un assez bon parti du personnage de Sélim, et Mlle Baretti, malgré des momens de défaillance, me plaît dans le rôle gracieux de Margyane, dont elle chante fort bien la délicieuse romance de la fontaine. Je voudrais pouvoir louer autre chose dans M. Balanqué que son intelligence de comédien. M. Wartel fils se dégage un peu et tend à prendre une physionomie dans le personnage subalterne de Ealoum-Barouck.

Il serait bien dommage que M. Reyer ne mît pas à profit le bon accueil qu’on a fait à l’ouvrage intéressant que nous venons d’apprécier. Que l’auteur de la Statue ne se fasse pas cependant illusion sur la valeur réelle de la partition qu’il vient de produire, où d’heureuses et charmantes inspirations ne font que mieux ressortir les lacunes de son éducation musicale. Harmoniste d’instinct, M. Reyer trouve parfois de piquantes combinaisons qui restent sans développement, et ses basses, constamment attachées à ce guide-âne qu’on appelle une pédale inférieure, ne cessent de ronfler et de répandre la monotonie. Presque tous les morceaux d’ensemble de la Statue sont peu ou mal dessinés et ne contiennent guère qu’une phrase assez bien venue que l’auteur est obligé de répéter telle quelle, ne pouvant la laisser