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mollement étendus. Le chœur pour voix d’hommes qui se chante alors est charmant, bien dessiné, accompagné avec goût, et semble exhaler un parfum de la douce rêverie d’Oberon de Weber. Ramené trois fois, le motif de ce chœur s’entend toujours avec le même plaisir, et constitue le morceau le plus remarquable du premier tableau. La toile tombe, et, pendant le court intervalle qui interrompt la marche de l’action, l’orchestre exécute un intermède symphonique qui reproduit la sensation de quiétude du premier chœur. M. Reyer n’aura que trop souvent recours à des effets du même ordre. La toile se relève, et dans un vaste désert on voit apparaître une jeune fille tenant une urne à la main qu’elle va remplir à la fontaine. Elle exprime l’état de son cœur et le pressentiment de la vie qui va bientôt la pénétrer dans une mélodie suave qui, sous forme de romance, est une véritable trouvaille, un pur rayon de poésie et de sentiment,

Toi que n’atteint pas l’ardeur du soleil.


Ce chant délicieux, répété deux fois et qui conclut à la tierce supérieure de la tonique, vous communique une douce langueur qui est le sentiment de la situation et du personnage. L’arrivée de Sélim dans le désert, sa rencontre avec Margyane et la scène d’amour qui en résulte donnent lieu à un duo pour soprano et ténor qui ne vaut pas le morceau précédent, mais qui renferme quelques élans chaleureux. J’aime surtout la phrase où Sélim exprime à Margyane le désir de contempler ses traits :

Oui, permets à ma main
D’écarter en tremblant…


mais le reste du duo est fort décousu, et ce sera le défaut capital de l’œuvre que nous analysons. Quant à la romance pour voix de basse que chante le génie Amgyad :

Il est un trésor
Plus rare que l’or,


c’est un chant vulgaire qu’on a entendu partout, et M. Balanqué, qui le débite d’une voix rude et fausse, n’en relève pas le style. L’accompagnement de cette romance ne vaut pas mieux que la mélodie qu’il suit d’un pas boiteux. Malgré le sentiment nouveau et charmant qu’il vient de concevoir pour la jeune Arabe Margyane, Sélim n’oublie pas de suivre les conseils que lui a donnés le derviche. Il pénètre dans une grotte située sur les vieilles ruines de Baalbek, et il en sort bientôt, l’imagination ravie de tout ce qu’il lui a été donné de voir. Le récit qu’il fait alors :

Mes yeux ont contemplé ce merveilleux empire,


est d’un bel élan lyrique, un peu dans le style nerveux de l’Euryanthe de Weber. Le chœur démoniaque qui se chante dans l’intérieur de la grotte rappelle aussi la grande scène du second acte de Robert. J’aime surtout le