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Les sources du commerce, l’industrie de Damas et de Bagdad tarissent chaque jour ; les Bédouins ont pris l’empire du désert, et sur les ruines de tant de splendeurs on ne trouve plus qu’un pauvre village de quelques centaines d’âmes qui disputent aux nomades des dattes et des troupeaux, leur unique subsistance ? C’est tout ce qui reste de la population d’une ville qui dut contenir au temps de Zénobie plus de cent mille habitans. Les pauvres fellahs qui leur ont succédé vivent dans l’enceinte du temple du soleil, sous des huttes de boue. Pénétrez dans cette enceinte. Des hommes déguenillés, avertis de votre présence par l’aboiement des chiens, sortent d’affreux réduits, et accourent en demandant l’aumône. Çà et là une légère fumée monte sous les colonnes et noircit quelques sculptures ; elle s’élève d’un amas d’herbes sèches, dans la cendre desquelles une mère de famille fait cuire un pain grossier. Celle-ci se détourne et tend la main d’un air suppliant. Tout le luxe de bas-reliefs, de portes, de colonnades ruinées, seul héritage que les Palmyréniens modernes aient reçu de leurs prédécesseurs, fait vivement ressortir cette scène de misère et de désolation. Quoique le village qui vit sur ces ruines soit nominalement soumis aux Turcs, ses vrais maîtres sont les Anezé, qui abreuvent chaque année dans ses sources plus de dix mille chameaux. Leur puissance dans ce désert recevrait un coup terrible le jour où l’accès des fontaines leur serait interdit.

Voyageurs consciencieux, nous employâmes tous les instans de la matinée et de la soirée à parcourir les ruines. Nous voulions aussi leur donner quelques heures de la nuit, et voir la ville et le désert à la clarté de la lune ; mais ce spectacle, dont la magie doit frapper fortement l’imagination, nous fut refusé : un vent brûlant s’était élevé du sud-est, des vapeurs impénétrables à l’éclat des astres s’étaient répandues comme un voile épais sur le ciel, et une obscurité profonde nous forçait le soir à regagner le camp. Avec quels regrets je quittai Palmyre sans pénétrer, après la chute du jour, dans la vallée des sépulcres, et monter sur ces collines d’où Volney aperçut à la fois le fantôme blanchâtre des colonnes et le spectre qui, glissant dans l’ombre, vint répondre aux pensées de son cœur et l’instruire sur les révolutions des empires !

Le morceau célèbre qui sert de préambule au livre des Ruines a rendu populaires en Europe les restes de Palmyre. Les considérations si profondes, si précises, que Volney présenta dans son voyage en Syrie sur le commerce et l’histoire de cette ville, bien qu’un peu trop succinctes, méritent plus d’admiration encore. Dans ce livre, la Syrie, ses divers peuples sont appréciés avec tant de vérité, qu’aujourd’hui même, près d’un siècle après la publication, il est pour les voyageurs le guide le plus sûr et le plus judicieux : juste récompense pour les dangers que l’auteur affronta durant les trois