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point à nos soldats français, qui savent toujours trouver le mot pour rire au milieu des épreuves, et joignent au courage l’enjouement et la sérénité de l’esprit.

Nos premières impressions sur Palmyre furent un peu troublées par la fatigue. Quant à moi, j’avoue que j’eus hâte de demander au repos et au sommeil la réparation de mes forces ; mais longtemps le sommeil ne vint pas : j’éprouvais un tremblement nerveux, sorte de fièvre fréquente après les longues marches sous un ciel brûlant. L’ombre n’apportait aucune fraîcheur, et il me semblait toujours sentir sur la tête l’ardeur du soleil. Je passai les premières heures de la nuit les yeux ouverts, les oreilles à l’écoute du moindre bruit, l’esprit singulièrement porté aux chimères et à l’inquiétude.

Mon compagnon et moi, nous avions abattu une partie de notre tente afin de profiter du bienfait de la moindre brise ; par cette ouverture, la lune jetait de temps en temps sous la toile un de ces pâles rayons qui ressemblent à des regards furtifs et curieux, et les objets autour de nous prenaient un aspect fantastique. Mes yeux se fixaient malgré moi sur la cime d’un palmier qui se détachait sur un ciel tellement illuminé par les étoiles qu’il conservait une teinte bleue tirant sur le violet, et cette cime semblait se mouvoir : illusion due à la marche des astres. Parfois j’entendais les mouvemens agités de quelque cheval à qui la fatigue enlevait le sommeil, comme aux hommes, ou bien encore un souffle rapide et entrecoupé, accompagné d’une sorte de gémissement rauque, dénonçait un chacal qui rôdait dans le camp. Ces animaux eurent l’audace de s’approcher même de nos lits. Enfin la brise vint, le palmier frémit, un grenadier sous lequel notre tente était dressée frôla la toile de ses branches ; de guerre lasse je m’endormis. Le lendemain nous étions, sinon reposés, du moins fort en état d’explorer Palmyre. Mighuel fixa le maximum de notre halte à une journée et demie, laps de temps assez long pour prendre un aperçu des ruines, assez court pour que les Arabes de Mésopotamie ne pussent être instruits de notre présence. Nous mîmes à profit, pour parcourir la ville morte, les heures où le soleil inflige le moins de souffrances, c’est-à-dire les matinées et les soirées.

J’avais éprouvé un réel saisissement lorsque le grand squelette de Palmyre gisant dans le désert m’était apparu pour la première fois. Au moment de le visiter en détail, je résolus de le regarder avec les yeux d’un juge plutôt qu’avec ceux d’un voyageur enthousiaste. J’y réussis trop bien pour mon plaisir, car, malgré la renommée qui a fait de ces ruines une merveille des arts, j’éprouvai une déception. Ces colonnes dont les longues files produisent de loin un si majestueux effet, manquent de proportion et de grandeur. Vers le nord de la ville et au centre, on en rencontre ça et là quelques-unes