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regardions en vain ; enfin nous vîmes quelques piques apparaître à l’horizon, un peu de poussière s’élever, et des hommes venir à nous. Nous plaisantâmes sur leur petit nombre, le comparant à notre imposante caravane ; mais Élie répondait qu’un pli de terrain pouvait cacher un parti de cavalerie. Bref, nous allions changer les amorces de nos armes, quand le retour des éclaireurs apprit aux chefs que les Arabes aperçus étaient des Sebah accompagnant depuis Bagdad une caravane de marchands. On fraternisa avec les nouveau-venus, et nous entonnâmes en riant la chanson :

ennemis sont mes amis,
Je ne veux plus faire la guerre.

Le dénoûment pacifique de l’aventure nous priva du plaisir d’assister à un de ces combats de Bédouins que je me figure assez semblables au jeu de barres, si on nous les a fidèlement décrits. Quand deux troupes sont en présence, un cavalier se jette dans la lice, un ennemi s’élance ; sur la sortie d’un nouveau cavalier, un nouvel ennemi vient porter secours au précédent. Ces escarmouches, comme les batailles de l’Iliade, sont une suite de combats singuliers. Cependant l’Arabe d’Asie, s’il n’est poussé par une vendetta personnelle, évite de faire périr son ennemi ; il veut non pas tuer, mais piller. Le cheval et le dromadaire sont les objets de sa convoitise, et le plus faible des combattans peut toujours sauver sa vie en abandonnant ses dépouilles. Il s’ensuit qu’on se heurte prudemment, que la lance est préférée au fusil, car une balle atteint moins souvent le cavalier que sa monture ; l’homme étant inutile à prendre, la bête tuée, tout est perdu pour le vainqueur.

Les chaînes de hauteurs qui bornaient l’horizon se rapprochaient de plus en plus. Les Arabes, montrant du doigt leur point d’intersection, s’écrient : Kulat ! le château ! Nous apercevons distinctement une ligne de murailles sur le sommet d’une montagne. Déjà des colonnes tronquées, des piédestaux couverts d’inscriptions en caractères, soit grecs, soit cunéiformes, apparaissaient dans la plaine. En suivant la trace de ces rares débris, on reconnaît qu’ils marquent, à travers le désert, la route de la grande cité.

Un défilé s’ouvrit. Au moment où nous le franchîmes pour atteindre le versant opposé de la chaîne, les murailles aperçues prirent une forme toute moderne. Elles appartiennent à un château sarrasin qui couronne la crête d’un rocher. Au bord de la vallée s’élèvent de nombreuses tours carrées à demi ruinées, que l’on prendrait pour des tours de défense, si des inscriptions funéraires n’indiquaient qu’elles étaient les tombeaux des principales familles de Palmyre. À l’intérieur de ces tours, on voit une chambre sépulcrale dont les murs sont garnis jusqu’au sommet de casiers de