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avons rencontré à Jéricho. C’est à Taybeh qu’on lui porta ces coups. Il y levait des impôts qu’il partageait avec un autre neveu d’Abd-er-Rhazy. Celui-ci voulant les lever pour son seul compte, la discorde et la haine s’allumèrent entre les deux chefs. Gablan vint au village avec vingt-cinq cavaliers, afin d’y faire reconnaître ses droits. Son rival entra à l’improviste dans la maison où il s’était arrêté, et lui asséna un coup de sabre sur la tête. Gablan, blessé, monte à cheval, et, ses pistolets à la main, poursuit le traître et l’atteint ; mais il reçoit un second coup de sabre qui lui fend le poignet. Au même instant, son ennemi est tué par un des vingt-cinq cavaliers. Les plaies de Gablan ne sont pas toutes fermées, bien qu’un an se soit écoulé depuis le combat, et le blessé attend sa guérison complète pour parfaire sa vengeance en tuant les parens de celui qui l’a frappé. Ceux-ci, selon les lois de la vendetta arabe, se tiennent prêts à la guerre, au besoin même ils attaqueront. C’est ainsi que les querelles et les combats surviennent, même entre parens, que les tribus se divisent à l’infini et s’affaiblissent par la discorde. Les Turcs, selon leur politique habituelle, ne manqueront pas d’envenimer cette haine, afin d’affaiblir la peuplade des Adouans.

Cependant les Arabes arrivaient de tous côtés. Pourquoi ? Pour nous admirer. Jamais ils n’avaient vu un campement pareil. L’affluence devint grande surtout quand on sut que nous avions un docteur. Les malades abondaient, et les bien portans se cherchaient quelque mal afin de consulter le médecin. Une pauvre femme lui apporta un panier d’œufs, cadeau destiné à provoquer ses soins et sa bienveillance. Le mari de la femme ne lui trouvait qu’un seul mal grave, celui de ne plus pouvoir porter de fardeaux. On lui donna une drogue et on lui défendit le travail, au grand déplaisir du mari. Un lépreux vint montrer ses plaies, il fut envoyé aux eaux sulfureuses de Tibériade ; mais ce peuple ignorant ne croit pas aux remèdes naturels. Un médecin, pour être bien vu, doit prononcer des paroles cabalistiques, jeter des sortilèges, en appeler à tout propos à la pharmacie. Que les docteurs qui veulent être à la mode parmi les populations orientales se pénètrent bien de ce principe. Cadalvène raconte qu’un vekil turc qui lui avait rendu quelques services vint, quoiqu’il ne fût pas médecin, le consulter sur sa santé. Le vekil était adonné à tous les excès. Il lui fut dit que le meilleur moyen de se guérir était de mener une vie meilleure. Le Turc, désappointé, reprit : « J’ai acquis cependant assez de titres à votre reconnaissance pour que vous ne me refusiez pas un remède. » Cadalvène lui fit prendre immédiatement une dose de jalap telle que le malade dut s’en souvenir longtemps.

Le moment du départ était venu ; Abd-er-Rhazy nous dit que,