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elle Annius, son lieutenant. La ville fut prise au premier assaut ; mille jeunes guerriers, qui ne s’étaient pas échappés, furent mis à mort, leurs biens pillés, leurs maisons réduites en cendre et leurs familles en esclavage. Annius marcha ensuite contre les villages d’alentour. Plus d’un demi-siècle après ces événemens, Gerasa atteignit son plus haut degré de splendeur, et fut ornée de tous ces édifices dont nous admirons aujourd’hui les ruines. Nous ne savons rien sur cette période ; mais les inscriptions trouvées sur les restes des palais et des temples prouvent que la plus belle architecture remonte à l’âge des Antonins, 138-180 ; elle se rattache à l’ordre ionique et corinthien. Gerasa devint plus tard le siège d’un évêque chrétien, et envoya un de ses prélats au concile de Chalcédoine. Il n’est pas probable que cette ville ait été jamais habitée par les Sarrasins. On n’y voit pas, comme à Baalbek et à Palmyre, des traces de leur architecture, ou une mosquée, ou des inscriptions. Tout ici est antérieur à l’islamisme. »

Le silence de l’histoire sur ces ruines remarquables enlève de la vie au spectacle. Il ne me suffit pas de contempler des pierres bien sculptées. Je veux admirer aussi le prince, l’architecte dont le génie a produit ces chefs-d’œuvre. Peut-être des fouilles amèneraient-elles des découvertes de statues ou d’inscriptions. Le sol est encore intact. Ce qui semble certain, c’est que tous les monumens de Djerash se sont élevés sous le souffle de la civilisation romaine. La présence des théâtres et de la naumachie démontre que le peuple y goûtait les mêmes plaisirs que les Italiens, et demandait à ses magistrats des circenses. La colonisation de Rome a frappé cette ville d’une empreinte si forte, qu’au milieu de ces débris on est tenté d’oublier la Syrie, de se croire au cœur de l’empire, ce corps si puissant, si compacte, si bien centralisé, que des cités splendides comme Djerash s’élevaient à ses extrémités sans avoir de vie ni d’histoire individuelle. Cette considération, je le crains, détournera la science d’y faire des recherches, car il reste bien peu à découvrir sur les mœurs des anciens Romains, et tandis qu’on peut lire, comme en un livre, leur vie journalière sur les restes de tant de cités, viendra-t-on au fond de la Palestine, à l’est du Jourdain, chercher d’incertains documens ? Tout porte à croire que ces belles ruines auront une obscure destinée.

Les Arabes, je dois le dire, excitaient autant notre curiosité que les ruines ; aux heures des repas ou du loisir, nous nous établissions pêle-mêle avec eux sous la fraîche arcade de quelque therme délabré ; ils venaient s’accroupir près de nous, touchaient nos vêtemens. Pour nous mieux examiner, ils montaient sur quelque fût de colonne renversée, quelque chapiteau ionique ou corinthien gisant sur le sol.