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sommairement ce que j’admirai : une belle et longue rue bordée de chaque côté de colonnes corinthiennes, les unes debout, les autres renversées ; à l’extrémité de la rue, un forum entouré de colonnes ioniques, un temple où le soleil était adoré. Le tremblement de terre qui a jeté le désordre dans tous ces monumens a du moins laissé debout les propylées de ce temple et les premières colonnes. C’est le plus beau fleuron de la couronne de Djerash. Quelques plantes, dont la verdure ne messied pas aux ruines, ont pris racine entre les bas-reliefs et les sculptures, et ajoutent un effet pittoresque à leur sévère beauté. Nous vîmes ensuite deux théâtres, puis une naumachie. Dans cette ville, située au fond d’une province reculée de l’empire romain, on n’oubliait pas les plaisirs du peuple. Enfin, au sud, s’élève une porte triomphale, d’une belle architecture, autant qu’on peut en juger à ses murs, tellement délabrés qu’un petit pâtre les escaladait avec son troupeau de chèvres. Ce qui frappe le promeneur, c’est que les diverses rues sont encore tracées ; l’emplacement des maisons est apparent ; les aqueducs et les bassins qui captaient les sources et les portaient dans les divers quartiers sont intacts, et les Arabes y abreuvent leurs chevaux.

Après la première exploration, nous nous dispersâmes dans les ruines. Chacun se dirigea vers les points qui l’attiraient. M. de Scitivaux prit ses pinceaux et ses albums, et, avec sa gracieuse facilité, dessina les propylées du temple du soleil. M. Morrhain jeta un fusil de chasse sur son épaule et alla faire la guerre aux cailles et aux bartavelles qui s’étaient levées sous nos pas près des colonnades, Les Bédouins le regardaient passer avec une certaine admiration, car M. Morrhain possède des attributs fort estimés chez eux, une haute taille, une longue barbe et un air martial. Maintes fois, lorsque nous parcourions les rues étroites des villes, les fellahs et les bachi-bozouks couchés dans le chemin, qui se dérangeaient à peine pour nous livrer le passage, se reculaient intimidés devant notre compagnon, et chuchotaient le mot « kebir ! qu’il est grandi » L’ascendant qu’il exerce, joint à son habile fermeté, lui est fort utile pour remplir les fonctions de trésorier et d’officier payeur de la caravane. Il n’est pas aisé de s’acquitter de ces fonctions au milieu des populations orientales, dont la vertu dominante n’est pas l’honnêteté.

Me trouvant seul, je montai sur une hauteur, d’où je pus embrasser le panorama du paysage. Les collines étaient couvertes de fleurs. Le torrent que nous avons déjà rencontré à Suf, et qui sépare Djerash en deux parties, murmurait au fond de la vallée sous des lauriers-roses. Des cavaliers arabes, la lance sur l’épaule, descendaient en chantant les sentiers rapides. Nos sept tentes et l’animation