Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du visage que par les costumes. L’on me demandera peut-être comment nous étions habillés nous-mêmes dans ce pays brûlé par le soleil. « Autant que possible, nous avait-on dit, ne prenez pas le vêtement oriental. Pour être respecté, conservez la dignité d’Européen. Ce n’est pas tout : gardez le chapeau, votre signe distinctif. » Jadis, en Turquie, on comptait ainsi : tant de chapeaux, tant d’Européens. Aujourd’hui que l’Europe est puissante et l’Orient avili, plus que jamais l’insigne du chapeau est précieux. Il signifie revolver, carabine de précision, canon rayé, machines à vapeur et mille autres inventions qui nous font redouter. Notre supériorité n’est pas la seule cause de la terreur que nous inspirons aux Orientaux. Nous devons un tribut de reconnaissance à Méhémet-Ali, conquérant de la Syrie, qui dompta les mahométans et appela les chrétiens à les commander. Un jour, quelques jeunes Français habillés à la turque furent insultés dans un café du Caire et vinrent lui porter plainte. « Vous êtes bien coupables, répondit-il ; j’ai fait tomber plus de deux cents têtes pour imprimer à mes peuples le respect de l’habit européen, et vous vous vêtissez comme des musulmans ! »

Cependant certaines pièces du vêtement oriental sont indispensables ; il faut un turban ou une couffieh, coiffure arabe au sommet du chapeau, pour se défendre contre le soleil, le plus dangereux ennemi des voyageurs, et les épaules et le dos ne sont bien garantis que par une abbaïl blanche, sorte de burnous flottant. Cet ensemble demi-oriental, demi-Européen, était une heureuse alliance du bon sens et de la dignité ; mais notre accoutrement était loin d’avoir le caractère de celui des serviteurs indigènes qui allaient et venaient autour de nos tentes.

Celles-ci sont au nombre de sept. Sur la principale, celle des deux chefs de la caravane, flotte la flamme tricolore. C’est un des meilleurs souvenirs que ces enfans de la France conserveront de l’Orient. En Orient seulement, ils auront dormi à l’ombre du drapeau français. Entrez ; en ce moment, ils sont absens ; ils veillent aux moindres détails du campement, s’informent des routes, se préoccupent eux-mêmes avec une infatigable activité de la conduite de l’expédition. Dans leur tente, on voit deux lits de camp, deux fusils de chasse pendus au mât, quelques tapis à terre et une table sur laquelle des papiers sont épars. Le jour, nos deux chefs commandent la caravane, interrogent les Arabes ; le soir, après la marche souvent pénible, ils écrivent leurs observations et cherchent à recueillir par l’étude des impressions fortes, des connaissances approfondies sur cette Syrie où leur patrie a laissé de si grands souvenirs, où tant de populations sont restées françaises de cœur.

Deux tentes s’élèvent près de la première. L’une abrite trois de nos